Est-ce que c'est important de s'adresser directement aux auteurs de violences conjugales, comme le fait le canton de Vaud?
Philippe Bigler: C'est extrêmement important. Ceux qui veulent changer doivent savoir qu'ils ne sont pas seuls et qu'ils peuvent être aidés.
Au Centre Prévention de l'Ale, à Lausanne, nous leur expliquons qu'il est possible de travailler sur le problème sans pour autant légitimer la violence. Ils peuvent également nous contacter lorsqu'ils sentent qu'ils vont passer ou repasser à l'acte.
Le Centre Prévention de l'Ale accueille et accompagne des auteurs de violences conjugales. Comment s'établit le premier contact?
Cela dépend des situations. La campagne du canton de Vaud est spécialement destinée aux hommes conscients d'avoir des problèmes de violence qui souhaitent obtenir de l'aide. Ils peuvent s'adresser à nous directement par téléphone.
Quels sont les autres cas de figure?
Nous recevons également des personnes qui ont été expulsées de leur domicile après avoir été violentes. Le cas échéant, il est obligatoire d'effectuer au moins un entretien avec un de nos intervenants psychosociaux. Autre scénario: la police conseille de se rendre au Centre Prévention de l'Ale après être intervenue au sein d'un couple.
Une fois le premier contact établi, comment se passent les entretiens individuels avec les auteurs?
Le but est de créer un premier lien et d'évaluer la situation afin de pouvoir proposer le suivi le plus adapté. Ceux qui viennent de manière volontaire s’engagent plus volontiers dans l'un de nos programmes. Les auteurs de violences qui ont été expulsés de leur domicile en revanche arrivent souvent avec énormément de questions sur ce qu'il va se passer au niveau judiciaire dans les jours qui vont suivre. Lorsqu'ils sont dans cet état d'esprit, il est difficile pour eux d'être réceptifs à ce que nous leur disons. C'est pour cette raison que nous leur recommandons de suivre plusieurs séances avec nos spécialistes.
Quels résultats obtenez-vous après ces entretiens individuels?
Les auteurs qui viennent de manière volontaire montrent de la motivation à entamer et poursuivre un suivi de groupe. En revanche, la plupart des personnes qui ont fait l’objet d’une expulsion du domicile suivent un seul entretien et ne continuent pas la démarche. C'est tout de même important qu'elles aient consulté au moins une fois et qu'elles sachent que nous existons si un jour elles ont à nouveau besoin d'aide.
Lorsqu'une volonté de changement est exprimée, que se passe-t-il ensuite?
Nous proposons deux programmes de groupe en fonction de ce que nous jugeons le plus adapté. Le premier consiste en 15 séances de groupe avec un maximum de huit personnes à intervalle d'une séance par semaine. Le second propose sept cours sur la thématique de la violence. La justice peut d'ailleurs ordonner à certains auteurs de violences de suivre un des deux programmes. Des suivis individuels sont également possibles.
Comment se déroulent les séances de groupe?
Les participants font différents exercices, comme remplir le «continuum de la violence»: ils définissent les différents types de violences – psychologiques, physiques, etc. – et présentent ensuite leur travail devant le groupe. Cet exercice est un moment charnière, car les auteurs se rendent compte du type de violence qu'ils exercent sur leur compagne et à laquelle est exposé leur enfant.
Nous travaillons également sur l'origine de la violence. La majorité des auteurs ont été victimes ou témoins de violence dans l'enfance, sans forcément avoir réussi à la nommer ou à l'identifier, notamment lorsqu'il s'agissait de violence psychologique.
Quels résultats obtenez-vous après ces quinze séances de groupe?
Nous voyons une évolution chez les participants. A la fin des quinze séances, il y a un bilan qui se fait en trois phases: par les personnes elles-mêmes, par le groupe et par les intervenants psychosociaux. Nous voyons ensuite les personnes trois fois à intervalle de trois mois, afin de consolider les changements de comportements. Certains participants décident même de poursuivre la démarche de groupe.
Vous avez également parlé de cours donnés aux auteurs de violences conjugales. Qu'est-ce qui est enseigné?
Chaque cours aborde un thème en particulier, par exemple «Clarifier les notions de colère, d'agressivité, de contrôle et de violence», «Enjeux de genre et violence sexiste» ou «Identifier les enjeux émotionnels et sensibiliser à des stratégies de gestion de crise».
Quelles autres solutions peuvent être mises en place en Suisse pour prévenir la violence conjugale?
Nous devons continuer à impliquer les auteurs et à les faire travailler sur eux-mêmes.
En effet, nous voyons une nette augmentation des consultations depuis 2018, soit après l'entrée en vigueur de la Loi vaudoise d'organisation de la prévention et de la lutte contre la violence domestique (LOVD). Nous étions à 377 consultations en moyenne par année en 2018 contre 799 en 2021 et 720 en 2022.
Vous travaillez depuis plus de 20 ans dans le domaine: avez-vous vu une évolution dans la prise en charge des violences conjugales?
Oui. La convention d'Istanbul créée en 2011 et entrée en vigueur en 2018 en Suisse a permis une accélération dans la prise de conscience du problème et a aidé à la mise en place de mesures de prévention et de lutte contre les violences conjugales. Ces dernières années, et notamment depuis le mouvement #MeToo, il y a un réel changement dans la manière dont la société perçoit la problématique. Il y a une quinzaine d'années, les violences conjugales étaient considérées comme un problème privé. Aujourd'hui, nous savons qu'il s'agit d'un problème sociétal et qu'il faut en avoir une vision globale: