«La nature a longtemps pris soin de notre "chenit", mais maintenant, c’est fini.» Parole de philosophe. Daniel Schulthess en appelle, qui l’eût cru, à notre sagesse. En sommes-nous capables? Ce professeur émérite de philosophie de l’Université de Neuchâtel, à la fibre écolo, s’exprime d’autant plus librement qu’il est depuis peu retraité. Joint lundi par watson, il réagit au «non» des Suisses à la loi sur le CO2. Lui a voté «oui». Pourquoi n’avons-nous tous pas fait pareil? Qu’attendons-nous pour nous mettre au boulot? Une dictature verte?
Le climat est au rouge et les temps incertains. Daniel Schulthess se veut «relativement optimiste» sur la capacité des Suisses à remettre le couvert des taxes carbone. Avec la RPLP, ils en ont bien accepté le principe pour les poids lourds, fait-il observer. «L’inégalité des effets des mesures proposées pour différentes catégories de la population a quand même facilité la casse de cette loi devant le peuple», constate-t-il sans vouloir cautionner l'argumentaire de l'UDC.
Daniel Schulthess croit à l'efficacité de la contrainte fiscale. A condition qu'elle soit équitable et neutre et sur un plan comptable. «Il ne faut pas que les régions périphériques se sentent plus taxées que les centres urbains. Ni que les locataires voient leurs charges en chauffage prendre l'ascenseur. Ce que l'on paierait en plus pour le climat doit être déduit ailleurs», propose-t-il.
Très bien. Mais, les taxes mises à part, aux termes de quel raisonnement le peuple accepterait-il de se serrer la ceinture pour les beaux yeux de la planète?
Daniel Schulthess prend pour exemple l’abandon du système esclavagiste au XIXe siècle. La modernisation de l'appareil de production n’explique pas tout. «Il a fallu à l’époque des mouvements d’opinion profonds. L’esclavage est apparu inacceptable à une frange de plus en plus grande de la société. La même chose doit se produire pour le climat», soutient le professeur.
«Il faut que se répande un sentiment, comme l’honneur et la fierté, ce qui va de pair avec des effets de réputation», reprend-il. En somme, quelle image de nous-mêmes voulons-nous transmettre aux générations futures? Une bonne image, idéalement. C'est du boulot. Et certainement pas mal de renoncements à des biens non essentiels, pour reprendre un adjectif devenu viral au cours de la pandémie.
C'est là que ça se gâte. «La croissance a permis à chacun d’accéder à l’exotisme, de vivre comme un aristocrate. Le postier, le garagiste, l’employée de commerce sont allés en vacances à Bali». L’inaccessible est devenu réalité pour le plus grand nombre. Au mépris de l’environnement», juge le professeur, évoquant avec humour son protestantisme, une forme d’ascétisme, comprend-on.
Dire adieu à la croissance, c’est entrevoir la possibilité de la décroissance, aurait dit Monsieur de La Palice. Et qui dit décroissance dit pour beaucoup régression sociale. «Les Visiteurs», c’est sympa en film. Mais comme Jacquouille la Fripouille, nous préférons le confort de notre époque à la dure condition du manant du Moyen Age.
Les citoyens ayant refusé la loi sur le CO2 imaginent tout ce qu’ils pourraient perdre en se privant du carbone, souvent associé à la voiture, ce carrosse démocratique. «Ils ne veulent pas retourner au servage. Pas plus que les agriculteurs, et avec eux la majorité du peuple, opposée aux initiatives anti-pesticides, ne veulent retourner à la famine de l’Ancien Régime», analyse Daniel Schulthess.
«Le chantier pour faire changer les mentalités est énorme. Cela passe par la capacité à s’autolimiter», estime-t-il. Mais aussi «par la disposition à nous étonner, aux plans esthétique et intellectuel, de la singularité de notre condition présente: à la fois dans la nature et – inquiétante transition – de plus en plus en confrontation avec elle. Une situation qui nous oblige».