Suisse
Turquie

Comment la propagande d'Erdogan profite du système suisse

epa10413230 A woman walks in front of a picture of the Turkish President Recep Tayyip Erdogan in Istanbul, Turkey, 18 January 2023. President Erdogan announced that the presidential election could be  ...
Une affiche électorale pour le président Erdogan.Image: sda

Comment la propagande d'Erdogan profite du système suisse

L'avenir politique du président Erdogan est en jeu lors des élections de mai. Son parti, l'AKP, convoite les voix des Turcs vivant à l'étranger. Ces derniers mois, deux amis haut placés du parti d'Erdogan se sont rendus en Suisse...
05.02.2023, 08:0005.02.2023, 19:00
Christoph Bernet / ch media
Plus de «Suisse»

Deux mille cent vingt-trois kilomètres séparent le palais présidentiel de Recep Tayyip Erdogan à Ankara, la capitale turque, de la Fegistrasse à Spreitenbach, dans petite ville argovienne. Cette adresse anodine, située dans une zone industrielle, est le siège de la section suisse de l'Union des démocrates internationaux (UID). Fin septembre 2022, Ahmet Aydin, député du parti au pouvoir en Turquie, l'Adalet ve kalkınma partisi (AKP), dirigée par Erdogan s'y est exprimé.

Qui propage la parole d'Erdogan dans le monde?

L'UID, connue jusqu'en 2018 sous le nom d'Union des démocrates turcs européens (UETD), est considérée comme le bras du parti d'Erdogan à l'étranger. Dans son dernier rapport annuel, l'Office allemand de protection de la Constitution la qualifie «d'organisation de lobbying de l'AKP».

Selon une entrée Facebook de l'UID Suisse, le politicien de l'AKP Aydin a fait un exposé sur les élections présidentielles et législatives turques de 2023, qui auront lieu à la mi-mai. Le comité de l'UID s'est entretenu avec lui des «plans, programmes et projets pour les élections de 2023». L'UID n'a pas commenté les questions de nos collègues de CH media.

Le politicien AKP Ahmet Aydin (à gauche) écoute les paroles de Murat Şahin, président de l'UID Suisse, lors de sa visite en Suisse fin septembre.
Le politicien AKP Ahmet Aydin (à gauche) écoute les paroles de Murat Şahin, président de l'UID Suisse, lors de sa visite en Suisse fin septembre.Image: source: facebook.com/uid.isvicre

Le groupe a déjà organisé de nombreuses campagnes électorales de politiciens turcs en Europe – avant les élections précédentes et le vote d'avril 2017 sur la réforme constitutionnelle controversée, qui a donné beaucoup plus de pouvoir au président Erdogan.

L'Europe légifère, la Suisse ne fait rien

Celles-ci ont fait la une des journaux, en particulier en 2017, et ont provoqué d'importants désaccords entre plusieurs pays de l'Union européenne (UE) et la Turquie. Lors de leurs apparitions en Europe, les politiciens de l'AKP ont parfois menacé de violence les opposants à la nouvelle constitution d'Erdogan.

Les autorités policières locales craignaient pour la sécurité publique. L'Allemagne et les Pays-Bas ont par la suite adopté des bases légales pour pouvoir interdire à l'avenir les apparitions de politiciens étrangers.

De mêmes demandes ont été formulées en Suisse en 2017. Le Conseil fédéral les a balayées en invoquant la liberté d'expression. Cette année-là, une apparition du ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, prévue sur invitation de l'UID, a finalement été annulée après un long jeu du chat et de la souris entre les organisateurs et les autorités.

L'historien et spécialiste de la Turquie Hans-Lukas Kieser, de l'université de Zurich, s'attend à de nouvelles apparitions de politiciens de l'AKP en Suisse d'ici aux élections:

«La popularité du président Erdogan a baissé selon les sondages et on s'attend à un résultat électoral serré»

Les voix de la diaspora, c'est-à-dire des citoyens turcs vivant à l'étranger, sont d'autant plus importantes cette année.

Comment fonctionne l'AKP à l'étranger?

Depuis sa prise de pouvoir en 2003, l'AKP d'Erdogan a mis en place des structures ciblées pour renforcer les relations avec la diaspora. Il a l'avantage, par rapport aux autres partis, de contrôler les organisations publiques en tant que force gouvernementale:

Hans-Lukas Kieser, spécialiste de la Turquie à l'Université de Newcastle.
Hans-Lukas Kieser, spécialiste de la Turquie.Image: Université de Newcastle
  • Ainsi, le gouvernement AKP a créé, en 2010, un office qui s'occupe des préoccupations des Turcs vivant à l'étranger.
  • Un autre exemple est l'Office des affaires religieuses (Diyanet), qui dépend directement du président. Il contrôle également les mosquées turques à l'étranger et y envoie les imams qu'il a formés.
  • La branche suisse du Diyanet, la Fondation islamique turque pour la Suisse (Tiss), est également considérée comme proche de l'AKP. Ce n'est pas un hasard: lors de son séjour en Suisse en septembre, le parlementaire AKP Aydin a également visité le siège de la Tiss à Zurich-Schwamendingen.

En quoi le système turc est particulier?

L'historien Hans-Lukas Kieser analyse:

«La République de Turquie a toujours été un Etat de partis et les structures de l'Etat ont toujours été plus ou moins au service du pouvoir en place»

Selon lui, cette tendance s'est encore accentuée sous le règne du parti islamiste AKP et de son partenaire de coalition ultranationaliste Milliyetçi hareket partisi (MHP).

L'influence politique de la diaspora turque passe par «l'entretien et la fidélisation continus d'un certain milieu». Les dogmes politiques de l'AKP sont propagés par des organisations comme l'UID et ses activités très actives auprès des jeunes.

Sur le fond, il s'agit de beaucoup de choses, mais toujours d'un nationalisme exacerbé, qui nie le génocide arménien et qualifie en bloc de terroristes les Kurdes ayant des préoccupations politiques. Kieser poursuit:

«Avant les élections, on rappelle quels sont les partis qui défendent cette vision "patriotique" du monde»

Comment la Suisse gère la situation?

Selon Kieser, les visites de politiciens de l'AKP comme celle d'Ahmet Aydin l'année dernière renforcent ce lien et servent à des fins de propagande. Mi-janvier, un autre député AKP était en visite en Suisse: Serkan Bayram a assisté à la première européenne du film Buğday tanesi, basé sur sa vie, à l'hôtel Hilton à Opfikon (ZH). Il l'a fait à l'invitation de la Communauté turque de Suisse, une autre organisation proche de l'AKP.

Selon Kieser, les interdictions de se présenter en Allemagne et aux Pays-Bas pourraient avoir pour conséquence que la Suisse devienne une plaque tournante dans la campagne électorale. Mais il s'attend à ce que les éventuelles manifestations se déroulent plutôt à petite échelle.

Interrogé à ce sujet, l'Office fédéral de la police, Fedpol, répond qu'il suit, en collaboration avec les autorités cantonales, «les événements politiques à l'étranger qui pourraient concerner une diaspora en Suisse». Ces connaissances sont intégrées en permanence dans l'analyse de la situation:

«Afin de pouvoir prendre les mesures de sécurité appropriées en temps opportun»

C'est compliqué pour Erdogan de s'imposer en Suisse

Malgré l'engagement des organisations proches de l'AKP, la diaspora turque en Suisse, qui compte près de 100 000 électeurs, reste un terrain difficile pour Erdogan, contrairement à celle d'Allemagne ou d'Autriche.

Ici, elle se compose majoritairement de Kurdes et de Turcs alévis et de gauche. Ces derniers ont peu d'affection pour l'AKP: lors du référendum constitutionnel de 2017 et des élections présidentielles de 2018, Erdogan n'a obtenu que 38% des voix en Suisse. (aargauerzeitung.ch)

Ce nuage en Turquie prouve que «Dieu est une femme»
Video: watson
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Le Groupe Mutuel rompt avec une importante clinique genevoise
Le Groupe Mutuel ne rembourse plus les séjours en division privée ou semi-privée de ses assurés au bénéfice d'une complémentaire qui se font soigner à l'Hôpital de la Tour à Meyrin (GE). La pomme de discorde? La facturation des prestations hôtelières et cliniques.

«A partir du 1er mai 2024, il n'y aura plus de convention entre cet établissement hospitalier et le Groupe Mutuel pour la division privée ou semi-privée», a indiqué ce dernier samedi en fin de journée à Keystone-ATS. L'assurance confirmait une information parue dans la Tribune de Genève.

L’article