Elle a le courage et la puissance. Elle a aussi la voix. Zarifa Ghafari fait partie des femmes qui la portent loin. Pour toutes les autres. Il y a quelques semaines, celle qui a été la plus jeune maire d'Afghanistan a dû fuir. Pour échapper à ceux qui ont pris le pouvoir de son pays par la terreur. Pour survivre.
Menacée de mort et attaquée par les talibans, Zarifa Ghafari a toujours tenu bon. Non sans stigmates. Son combat pour les femmes est plus grand que la peur. Aujourd'hui, alors qu'elle est réfugiée en Allemagne, elle alerte le monde sur les droits des Afghanes et de la population de son pays. Nous avons pu la rencontrer lors de son passage en Suisse cette semaine.
Comment vous sentez-vous?
Zarifa Ghafari: Je me suis sentie bien après mon discours aux Geneva Peace Talks (ce mardi à l'occasion de la Journée internationale de la paix). J’ai porté des vêtements traditionnels afghans, pour soutenir les femmes de mon pays. Les talibans leur imposent de porter des burqas, au nom de la «tradition».
En tant qu’êtres humains, nous sommes libres par nature. Ce que nous portons est une décision qui nous appartient. J'ai mis cet habit parce que je voulais montrer que ma tradition est colorée et belle. J’ai voulu dire au monde que les femmes afghanes ne sont pas comme les talibans essaient de les présenter.
Vous avez vécu la peur et la panique quand les talibans ont pris le pouvoir. Vous avez fui votre pays. Pourtant, vous continuez à parler haut et fort. Ne vouliez-vous pas souffler un peu et vous protéger?
J’aurai tout le temps de me reposer et de me sentir bien plus tard. Je n’ai que 27 ans. La seule chose qui importe maintenant, c’est de parler, de dire au monde ce que nous, Afghans et Afghanes, voulons vraiment.
Quel est l’appel que vous lancez?
L’urgence, ce sont les droits humains, les droits des femmes. La question n’est pas de savoir qui doit gérer mon pays, mais je ne veux pas d’une ingérence internationale qui se focalise sur l’espionnage plutôt que sur la protection de la population. Nous ne voulons pas ça. Nous avons souffert et survécu depuis des années.
Le nouveau gouvernement afghan ne compte aucune femme. Vous n’avez pas l’impression que tout espoir est anéanti?
Les femmes dans mon pays représentent plus de 50% de la population. Aucun gouvernement ne pourra gouverner sans ces 50%.
Nous, femmes, avons servi ce pays durant 20 ans avec notre loyauté, notre honnêteté et un amour pur envers cette nation. Nous méritons d’en faire partie. Avant la prise de pouvoir des talibans, plus de 30% des bureaux du gouvernement étaient dirigés par des femmes, plus de 50% des enseignantes des écoles étaient des femmes. Comment vont-ils faire sans nous? Aujourd’hui, pour entrer au gouvernement, vous devez avoir fait le djihad, tué des gens, avoir été capable de détruire le pays. Ce n’est pas normal.
Vous avez été attaquée par les talibans, ils ont tué votre père (un ancien officier de l'armée afghane). Pourtant, vous l’avez dit, vous êtes prête à leur parler. Pourquoi?
On doit avancer et passer au-delà. Pour le futur.
Je veux pouvoir lui dire «j’ai marché pour toi et c’est pour cela qu’aujourd’hui, tu as un bon futur».
Qu’est-ce que vous voudriez dire aux talibans?
Je veux leur parler de la charia, la loi islamique et ses règles envers les femmes. L’islam que je connais, celui que mon père et ma mère m’ont appris, celui du Coran, me donne le pouvoir d’être celle que je suis maintenant. Ce que ces gens imposent au nom de l’Islam est contraire à l’Islam. Cela va contre ma tradition, contre mes règles, contre l’humanité.
Quand vous étiez maire, quelle a été votre principale préoccupation pour les femmes?
Avant d’avoir pris mon poste de maire, des gens m’ont ignorée, ils disaient «cette jeune fille ne va pas être capable de diriger un bureau». Mais je leur ai montré, je leur ai prouvé que je pouvais. Mon combat n’était pas seulement à propos de moi. Il portait sur toutes les femmes et leur pouvoir, sur les femmes leaders. Je voulais prouver que les femmes peuvent, avec honnêteté, faire partie de tout. On ne peut plus nous ignorer maintenant.
D’où vous vient tout ce courage?
Je crois que je le tiens des femmes de mon pays. En grandissant, j’ai vu à quel point nous étions traitées différemment. J’ai aussi vu comment ma mère qui, malgré d’immenses difficultés, a été capable de créer une vie avec son mari pour leurs enfants. Quand j’ai commencé à étudier à l’étranger, j’ai aussi vu comment les gens ont essayé de me déconsidérer. Je me suis dit «Non! Quelque chose doit changer».
Comment y parvenir?
Je ne pense pas l’avoir fait à grande échelle, mais au moins dans un cercle proche. J’ai changé la mentalité de mon père et de ma famille à propos des femmes et de leur présence dans la société. Je pense que c’est quelque chose qui m’encourage à avancer.
Si on se parle aujourd’hui, c’est notamment grâce au club Zonta International, pour lequel vous allez donner une conférence vendredi. C’est important pour vous de rencontrer ces femmes?
Pour moi maintenant, chaque moment, chaque seconde et chaque personne est important, et je ne veux manquer aucune occasion. Si je peux au moins avoir le soutien de quelques femmes, en solidarité avec les Afghanes, je pense que cela compte.