Mardi soir, des dizaines d'essaims de pendulaires tanguaient dans le froid entre un Uber à 400 balles et un dodo de fortune chez le poto. Il fallait bien trouver une alternative à la suppression des trains entre Lausanne et Genève.
Dès que les horaires déraillent, les critiques fusent. Mardi, surprise, les colères se sont soudain remplies d’un vide absurde: un trou. Un simple trou. Oui, c’est un trou qui a avalé notre routine. Un putain de trou à la hauteur de Tolochenaz (VD) qui a embourbé l’habituel défilé du salariat à l’heure de pointe. Et un trou dévoilé au grand jour:
Voici donc la raison de l'énorme perturbation en cours entre Genève et Lausanne : https://t.co/Adg8QYPnFO pic.twitter.com/kUU440Yk5U
— Pilote de loc CFF 🇨🇭 (@SBBTrainDriver) November 9, 2021
Certes, les CFF se sont retrouvés une nouvelle fois les quatre fers en l’air pour tenter de reboucher leur honneur, notamment avec des bus de remplacement et des excuses de bonne foi. Mais, là, alléluia! Nous avions enfin le coupable sous les cernes. Tout est de la faute du trou! C’est si précieux de pouvoir enfin mettre un visage sur un retard.
C’est déjà pas fastoche d’annoncer à tout l’Arc lémanique qu’il devra prendre son mal en patience plutôt que son train à l’heure. Mardi, ils ont même tenté de se planquer fièrement derrière le baratin habituel: «Le réseau ferroviaire subit actuellement des perturbations. Un affaissement de terrain en est la cause.» Sauf qu’on a vu le trou. Et ça change tout.
Bien sûr qu'on adore gronder les CFF. C’est même un sport national et il faut bien pouvoir compter sur un exutoire. D’autant que les prix pratiqués demandent cette impossible perfection. Mais ce stupide trou affiché partout, d’un diamètre chaotique, a rendu l'ex-régie fédérale sympathique. Pire: on compatit.
On s'est même mis à réfléchir un peu (en attendant le train): dans la vie, on peut se passer de wifi, de resto, de Facebook ou de conseils. On peut même se passer d’amour tant qu’on reste persuadé qu’il reviendra un jour. Mais pas de ce satané InterCity après dix heures de labeur. Notre train, c’est un doudou. Même bondé. Même debout. Même sale. Même en retard. Sans lui, on crève.
Rien n’est plus désiré qu’un wagon qui nous ramène au bercail. Et personne n’a jamais été autant sous pression que les CFF. Quand un amant, une collègue ou un parent a le droit d’être dans un jour sans, un train, lui, n’a même pas sa seconde pour souffler. Un amour qui rend fou, mais qui, mardi 9 novembre 2021, a enfin fait son trou. «Des petits trous, des petits trous, toujours des petits trous. Y a de quoi devenir dingue.» Mais l’erreur est donc humaine. Et, mardi, les CFF le sont devenus, humains. De quoi armer un peu de tolérance en plus de la traditionnelle patience?