Le rassemblement a lieu sous des cerisiers en fleurs, au milieu de vestiges de l'époque soviétique. Entre des édifices pompeux des années cinquante affublés du marteau, de la faucille et de l'étoile soviétique, le public se masse devant les caisses d'un festival.
Pour tout billet acheté, on reçoit un verre avec lequel se désaltérer aux tireuses des différentes petites brasseries présentes. De la viande, des saucisses et des légumes grésillent sur d'immenses barbecues au charbon. Une odeur envoûtante flotte dans l'air.
Lors de l'une des premières journées chaudes à Kiev, quelques centaines de jeunes se réunissent sur l'immense terrain d'un ancien centre d'exposition. Ils veulent fêter Pâques à leur manière: sans encens ni sermon, mais avec de la musique live, de la bière, du vin et de la viande. Objectif: profiter pour une fois de bavarder ou de danser en oubliant le reste. Ne penser ni la guerre ni aux caprices diplomatiques du gouvernement américain.
En tant que Suisse, on peut se demander ce qu'un concert en plein air a de si particulier. En trois ans de guerre en Ukraine, c'est en tout cas la première fois que je vois une foule si dense, dans une ambiance joyeuse. Ici, les gens n'ont pas beaucoup de raisons de rire. Et d'habitude, on cherche plutôt à éviter les rassemblements.
Les opéras de Kiev, Lviv ou Odessa proposent certes des la musique, mais d'un autre style. Les représentations commencent toujours l'après-midi à cause du couvre-feu nocturne. Lorsque l'alarme aérienne retentit, un haut-parleur invite les spectateurs à quitter l'opéra ou à se mettre à l'abri, même en pleine représentation.
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Agés d'entre 20 et 35 ans en moyenne, la plupart des festivaliers se fiche de l'interdiction de grandes manifestations, qui vaut par exemple pour un stade de foot plein. Les gens savent que leur concert en plein air pourrait représenter une cible idéale pour une attaque terroriste russe. Lors de telles manœuvres, Moscou utilise volontiers d'imposants missiles balistiques dont l'ogive est remplie de petites bombes à fragmentation.
La tête du missile éclate dans le ciel au-dessus de la cible et disperse ainsi ses engins meurtriers sur un vaste périmètre. La déflagration se produit au moment de l'impact, tandis que d'autres demeureront là, prêts à exploser à tout moment.
Pas plus tard que le dimanche des Rameaux, Moscou a provoqué un bain de sang dans la ville de Soumy, à l'est, avec ce genre de missile à sous-munitions. Bilan: 35 civils tués et 110 blessés. Souvent, les Russes tirent peu de temps après une deuxième roquette sur la même cible pour éliminer les secouristes, les ambulanciers, les pompiers et les aides civiles accourus sur place. Cette méthode perfide a également été utilisée le week-end dernier.
Parmi les festivaliers, personne ne croit Poutine lorsqu'il annonce une trêve de Pâques. Il a déjà trop fait de promesses qu'il n'a pas tenues. La guerre n'a pas commencé en 2022, elle a été déclenchée en 2014 déjà, avec l'invasion russe de la Crimée et du Donbass. Depuis, il y a eu de nombreux cessez-le-feu, mais ils n'ont pas souvent été respectés. Un étudiant raconte que lors des concerts, les abris doivent être accessibles en trois minutes à pied maximum. C'est impossible sur le grand parc des expositions.
A une table, un homme et une femme jouent aux échecs, tous deux vêtus de noir et portant des lunettes de soleil. A côté, on joue au ping-pong, et un peu plus loin, on sirote une bière et on mange des grillades sous les arbres.
Les hommes en service militaire ont laissé leurs vestes de camouflage et leurs casquettes à la maison, car dans tout pays, il est interdit de servir de l'alcool aux personnes en uniforme. Pas d'ivrognes en vue, du moins jusqu'à la tombée de la nuit. Dans un autre quartier de la ville, un festival queer a lieu simultanément. Quelques dizaines d'extrémistes de droite manifestent contre. La police les place rapidement en garde à vue.
Entre-temps, l'artiste tatare Aziza Eskender chante sur scène, accompagnée d'un guitariste et d'une bande sonore pour la batterie. La jeune musulmane récite certains de ses textes en tatar de Crimée, une langue influencée par le turc et que l'on parle aussi dans certaines régions ouzbèkes. Staline y avait fait déporter de nombreux Tatars de Crimée.
Une jeune femme aux cheveux longs blond foncé danse avec un caniche noir qu'elle tient étroitement contre elle. Une autre embrasse furtivement un homme sur la joue, tandis que celui-ci fixe son smartphone. Au bord de la piste de danse, un petit garçon manipule une kalachnikov en plastique. Il pointe le canon vers des cibles imaginaires dans le ciel.
Tandis que les engagements de Trump pour la paix sont au point mort, surtout dans les négociations avec Moscou, la vie continue dans la capitale ukrainienne. Beaucoup de gens vivent au jour le jour, la situation serait autrement insupportable. Sur le chemin du retour, nous écoutons un musicien de rue sur la place de l'Indépendance, au centre-ville.
Il continue à jouer tranquillement lorsque les sirènes de l'alarme aérienne couvrent sa voix et le son de sa guitare. Personne ne réagit. Un peu plus tard, le gouvernement indiquera avoir repéré des drones de combat russes - en plein milieu du cessez-le-feu unilatéral décrété par Poutine. Mais aucune explosion ni aucun tir de défense n'ont été entendus.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)