Une frappe russe sur le centre-ville de Soumy, en Ukraine en pleine fête religieuse des Rameaux, a tué au moins 32 civils dimanche. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière depuis des mois. Maryna Striletska, entraîneuse de football et habitante de la ville meurtrie, raconte son quotidien sous les bombes et explique pourquoi, malgré tout, elle refuse de fuir.
Comment allez-vous après l’attaque à la roquette contre le centre-ville de Soumy?
Depuis le début de la guerre, je vis dans un état de stress permanent, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela fait trois ans que je ne dors plus bien, j’entends des explosions la nuit. Parfois, je reste assise, submergée par une tristesse immense. Longtemps, j’ai pensé: «Je suis forte, je n’ai pas besoin d’aide.» Mais après ce qui s’est passé hier, j’ai dû admettre que j’avais besoin d’un soutien psychologique, que je n’allais pas bien. Et bien sûr, j’ai peur que d’autres attaques surviennent.
Vous n’étiez pas à Soumy, dimanche, pour des raisons professionnelles. Comment avez-vous appris l’attaquce?
Par une application qui envoie une alerte en cas d’attaque imminente. Ensuite, j’ai immédiatement appelé ma fille. Elle est vivante et heureusement indemne, et il ne s’est rien passé non plus pour mon mari. Peu à peu, j’ai compris l’ampleur de l’attaque : j’ai vu dans des vidéos les destructions et les cadavres étendus dans la rue. Des enfants ont même été tués ! Cela m’a anéantie hier. Et cela continue de me détruire aujourd’hui.
Comment s'est passée l'attaque?
Après l’alerte, on a environ une minute pour se mettre à l’abri. Pour beaucoup de gens dans le centre-ville, ce n’était évidemment pas suffisant. Après le premier missile, des personnes sont accourues pour porter secours. La deuxième roquette a frappé ceux qui tentaient de soigner les blessés. Une de mes connaissances a été tuée. Cela te fait prendre conscience que cela peut arriver à n’importe qui.
C'était comment le lendemain?
De nombreux employeurs, y compris le mien, ont appelé leurs employés à participer au nettoyage, s’ils en avaient la capacité. La rue principale était bloquée par des voitures calcinées.
Les habitants de Soumy déposent des fleurs sur les lieux de l’attaque en hommage aux victimes, et des équipes de soutien psychologique d’urgence parlent aux personnes traumatisées. Beaucoup d’entreprises, d’écoles et même l’université sont restées fermées aujourd’hui pour permettre aux gens d’aider, de faire leur deuil ou d’aller à l’église. S’ils osent encore sortir de chez eux. Beaucoup redoutent une nouvelle attaque russe.
Comment s’organise l'aide sur place?
Beaucoup de choses passent par des groupes de discussion, où l’on peut proposer ou demander de l’aide. Hier, par exemple, un appel au don du sang y a été relayé. Quand des maisons sont bombardées, les gens collectent des vêtements ou hébergent les sinistrés. Après les explosions d’hier, de nombreux animaux de compagnie se sont enfuis. Aujourd’hui, leurs propriétaires publient leurs photos dans ces groupes pour les retrouver.
Vous vivez à quelques kilomètres seulement de la frontière russe, en pleine zone de guerre. Comment cela affecte-t-il votre quotidien?
Par exemple, je ne vais plus dans le centre-ville ni dans les centres commerciaux, car ils sont régulièrement visés. Je me déplace beaucoup pour mon travail et j’essaie de sensibiliser les gens à la guerre, je montre des vidéos, je rends visible ce qui se passe ici.
Pensez-vous quitter Soumy après ce qu’il s’est passé hier?
Après l’attaque, beaucoup d’amis de Kiev m’ont écrit pour que nous venions chez eux et quittions Soumy. Mais même à Kiev, nous ne sommes pas en sécurité. Là aussi, la Russie attaque. Malgré tout, en famille, nous allons désormais discuter de ce que nous allons faire, et si nous restons ou non.
Qu’est-ce qui vous pousserait à partir?
Au début de la guerre, je me disais toujours : si les attaques se rapprochent, je partirai. Récemment, plusieurs maisons de mon quartier ont été bombardées. Le premier jour, on est sous le choc. Le deuxième et le troisième, on se dit: personne n’est mort, alors on reste. C’est difficile à expliquer, mais ici, c’est notre chez-nous.
Malgré la menace constante?
J’ai déjà perdu une fois mon foyer, quand j’ai dû fuir le Donbass en 2014. J’ai tout laissé derrière moi et je me suis reconstruite ici. L’idée que la Russie puisse nous chasser une deuxième fois est très difficile à accepter.
Qu’attendez-vous des alliés politiques de l’Ukraine?
Trump a qualifié l’attaque contre des civils de «faute». Cela me met incroyablement en colère. J’aimerais le voir survivre ici, ne serait-ce que deux jours. Il ne parlerait alors plus simplement d’une «faute».
Qu’attendez-vous de l’Union européenne?
Je pense que, grâce à l’aide de l’UE, nous pouvons arrêter la Russie. Mais pour cela, il nous faut plus de ressources. Actuellement, nous recevons juste assez pour survivre, mais pas pour contre-attaquer.