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Guerre contre l'Ukraine

Ukraine: les hôpitaux psychiatriques sont débordés par la guerre

Cette réalité invisible de la guerre en Ukraine

Ukraine: Les hôpitaux psychiatriques sont débordés par la guerre
Image: AFP
A Poltava, des femmes déplacées par la guerre vivent recluses dans un hôpital psychiatrique surchargé. Entre pathologies anciennes et traumatismes récents, elles sont les oubliées d’un système de santé mentale à bout de souffle.
19.04.2025, 15:4919.04.2025, 15:49
Romain COLAS, poltava, ukraine / afp
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La nuit, quand les drones et les missiles russes percent le ciel et que la défense antiaérienne ukrainienne se met à tonner, Olga Klimova dort profondément, loin de chez elle, dans la chambre bondée d'un hôpital psychiatrique. «Je prends les médicaments, je dors, je n'entends rien», s’amuse cette femme édentée au rire lumineux.

Internée à Poltava, dans le centre de l'Ukraine, Klimova, 44 ans, souffre de schizophrénie, une pathologie aux symptômes très variables qui cause fréquemment des troubles du sommeil. Dans ses rêves, quand elle dort, Olga Klimova dit voir son village de Kysselivka, dans la région de Kherson (sud), d'où elle a été évacuée après le début, il y a trois ans, de l'invasion russe.

Olga Klimova
Olga KlimovaImage: AFP

Elle affirme n'avoir «aucune nouvelle» de ses proches restés là-bas, comme «sa vieille tante», et attend "la fin de la guerre" pour les retrouver.

Saturation

Selon des médecins interrogés par l'AFP, la guerre a entraîné l'évacuation de milliers de patients d'hôpitaux psychiatriques ukrainiens. Ils font partie des 4,6 millions de déplacés internes recensés par Kiev. Parallèlement, la brutalité inouïe du conflit déclenche de nouveaux troubles psychiques, chez les militaires et civils : stress post-traumatique, dépressions, tendances suicidaires et autres maladies.

D'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 9,6 millions d'Ukrainiens sont à risque ou vivent avec un problème de santé mentale, soit près d'un quart de la population d'avant-guerre.Le système psychiatrique public, déjà vétuste et sous-financé avant 2022, se retrouve engorgé.

Doctor Oles Telyukov poses for a photograph in the women's ward of the Poltava Regional Psychiatric Hospital, in Poltava, on March 19, 2025, amid the Russian invasion of Ukraine. (Photo by Ivan S ...
Oles TelioukovImage: AFP

A Poltava, le psychiatre Oles Telioukov, 56 ans, confirme avoir «davantage de travail» et sait qu'il en aura «encore plus» quand le conflit se terminera. Mi-mars, son unité pour femmes prévue pour 40 patientes en comptait 47. Les hospitalisations y durent généralement quelques semaines pour traiter «les crises aiguës». La plupart des malades sont ensuite redirigées vers des psychologues et travailleurs sociaux. Seules quelques naufragées restent longtemps.

Des rechutes

Environ 10% des 712 patients de l'hôpital psychiatrique de Poltava étaient, mi-mars, des déplacés, principalement des régions dévastées de Kherson, Donetsk, Lougansk et Kharkiv.Parmi eux, il y a des évacués de Kherson, une ville bombardée constamment par la Russie depuis sa libération par l'armée ukrainienne en novembre 2022.

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Ces violences, selon M. Telioukov, peuvent exacerber des maladies mentales existantes. La ruine causée par l'invasion entrave aussi l'accès aux traitements, souvent onéreux et importés, pour stabiliser les pathologies et éviter les rechutes.

Atteinte de schizophrénie, Olga Beketova, 49 ans, raconte avoir été victime des grandes pénuries du début de la guerre. Pendant plusieurs semaines, elle n'a plus eu de médicaments. En mai 2022, elle a fait une crise à son domicile et a été hospitalisée à Kherson, puis évacuée à Poltava. Le regard figé, Mme Beketova raconte lentement avoir eu en 2024 un AVC qu'elle attribue «à toute cette angoisse».

«Petites flammes»

Le médecin français Christian Carrer est le fondateur de l'organisation humanitaire AICM, qui aide 257 établissements médicaux ukrainiens, dont 15 hôpitaux psychiatriques. En mars, son ONG a livré à celui de Poltava des vivres, du matériel et des traitements pour «l'épilepsie, les crises générales et de schizophrénie» et pour restaurer «les cycles du sommeil et des repas».

Faute de moyens, observe Christian Carrer, des psychiatres ukrainiens «endorment» leurs patients avec des sédatifs inappropriés.

«Là, on a livré des produits qui diminuent les effets de la schizophrénie, ou de toute tendance dangereuse, mais sans abrutir»
Christian Carrer

L'Ukraine a entamé en 2017 une modernisation de son système de santé. Interrompue par la guerre, cette réforme n'a pas atteint les hôpitaux psychiatriques, toujours organisés à la soviétique, en grandes chambrées de dizaines de patients, témoigne Christian Carrer.B eaucoup de malades - adultes comme enfants - y passent leurs journées allongés, sans activité. Christian Carrer les appelle «les petites flammes».

«Des gens qui sont là sans être là»

«Déstigmatiser»

Dans son bureau, le docteur Telioukov évoque deux militaires qu'il a soignées: l'une traumatisée par un bombardement à Poltava en septembre 2024 (59 morts), l'autre par six mois de détention dans une prison russe. Il pense que cette dernière a subi des violences sexuelles, comme de nombreux prisonniers ukrainiens. Cependant, «elle ne s'est pas confiée entièrement». Le médecin montre les salles dont il a la charge. Elles ne portent pas de numéros, comme souvent, mais des noms de couleurs.

«C'est pour dé-sti-gma-ti-ser, se débarrasser de la bureaucratie!»

Dans la salle «Rose» on cherche Olga Klimova pour lui dire au revoir. On la retrouve alitée, au fond à gauche, entourée d'une dizaine de patientes. Quand elle aperçoit l'équipe de l'AFP, elle lève la main et fait un grand sourire.

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