La guerre de Succession d'Autriche (1740-1748) se déclencha avec la contestation de plusieurs Etats qui s’opposaient à la succession entérinée par la «Pragmatique Sanction» du 19 avril 1713, laquelle arrêtait que la fille de l’empereur Charles VI, Marie-Thérèse d’Autriche, héritait à la mort de son père des Etats héréditaires de la Maison de Habsbourg.
Le conflit opposa d'abord la Prusse et l'Autriche avant que n’interviennent la Bavière puis la France et l’Espagne de Philippe V. L'arrivée en Italie du Nord, en 1741, de troupes espagnoles et siciliennes, qui visaient principalement le Milanais appartenant alors à l’Autriche, amena le roi de Sardaigne à conclure avec l'Autriche la convention de Turin du premier février 1742, ouvrant dès lors un conflit avec l’Espagne. En mars 1742, Louis XV autorisait le passage par la France des troupes espagnoles en attente à Barcelone. Mais parvenue aux abords de Nice, cette armée fut bloquée par l’armée sarde.
Les Espagnols décidèrent alors de changer d'objectif et de prendre le chemin de Chambéry. La contre-offensive sarde de l’automne 1742 devait échouer face aux régiments espagnols du marquis de la Mina qui dominèrent dès lors le territoire. L’Infant d’Espagne Philippe, fils du roi d’Espagne et futur duc de Parme, entrait ainsi à Chambéry et s’installait au château le 5 janvier 1743, ne tardant pas à obtenir l’allégeance de la noblesse et des autorités de Savoie.
Au cours de l’automne 1742, le contexte politique international autant que les opérations militaires qui se profilaient avaient entraîné les autorités genevoises à multiplier les missions diplomatiques auprès de la France et de l’Espagne, mais aussi de leurs alliés suisses. La cité de Calvin était une cité bien modeste en rapport aux forces en puissance et, à l’instar des époques précédentes, la ville ne pouvait compter réellement que sur sa diplomatie pour assurer sa survie.
Pleine d’espoir, Genève dépêcha en décembre 1742, à la nouvelle de la prise de Chambéry par les Espagnols, le conseiller François Jean Turrettin auprès de Zenón de Somodevilla y Bengoechea, marquis de la Ensenada, secrétaire de l’Infant d’Espagne Philippe Iᵉʳ. Le diplomate obtint l’assurance des bons sentiments de ce dernier qui assurait à la cité lémanique qu’elle ne serait pas inquiétée.
Pourtant, l’arrivée d’une armée forte de près de 20 000 hommes regroupant des régiments de Galice et des Asturies n’avait de cesse d’inquiéter les Genevois, non seulement à l’égard de la souveraineté de leur territoire, mais aussi pour les inévitables problèmes que la présence d’une force armée d’une telle importance n’allait pas manquer de poser. L’état-major espagnol devait, en effet, rapidement interdire la sortie des blés de Savoie le 7 janvier 1743, intimant encore l’ordre aux différentes régions, notamment à la paroisse de Lancy de fournir du fourrage aux dragons qui en demandaient.
Sur le terrain, les corps d’armée allaient venir progressivement occuper tout le pourtour du territoire genevois, les officiers réclamant encore à Genève l’exemption des droits de pontonage pour passer par le Pont d’Arve, ce qui allait leur être accordé.
Le 18 janvier 1743, 500 dragons du régiment de Séville arrivaient à Carouge avant d’être répartis dans les villages environnants. Quelques jours plus tard, 6 bataillons d’infanterie de 300 hommes arrivaient à Annecy, alors que 60 dragons prenaient leur quartier à Chêne, Saint-Julien étant occupée le même jour par une centaine de fantassins tandis que deux compagnies s’établissaient à Compesières et deux autres à Bernex et Confignon.
Peinant à déterminer le nombre de soldats espagnols semblant alors encercler la cité, les autorités genevoises allaient être mises d’autant plus sous pression qu’en février, le Résident de France leur conseillait de prendre toutes les précautions nécessaires pour se prémunir d’une invasion espagnole. Et les événements semblaient donner raison à l’ambassadeur, car les rapports qui parvenaient aux seigneurs syndics de la ville étaient des plus inquiétants.
Au cours du mois de février, des dragons espagnols avaient fait une incursion sur le territoire genevois, poursuivant des déserteurs, et avaient violenté le batelier de Peney en lui mettant un pistolet sous la gorge pour lui soutirer des informations, tout en forçant le châtelain local, officier de Genève, à loger plusieurs hommes sous son toit.
De l’autre côté du territoire, les Espagnols prenaient un malin plaisir à provoquer les Genevois en multipliant les vexations, encasernant une compagnie d’infanterie à Carouge et à Presinge au domicile des Genevois qui y possédaient des biens, levant des contributions de guerre sans distinction entre Savoyards et Genevois, et faisant des incursions à Jussy en y malmenant des paysans. Le colonel commandant les troupes espagnoles allait même tenter de réquisitionner la maison de campagne du syndic de la Garde à Carra pour en faire ses quartiers, entraînant une vive réaction de la part du Résident de France à Genève.
La lecture des Registres du Conseil de cette année dénote l’angoisse des autorités genevoises confrontées à une situation jugée alors critique. Les mesures de sécurité, toutes symboliques furent-elles, allaient être multipliées. Les individus suspects furent arrêtés, les fortifications renforcées – en 1743 Genève allait dépenser 346 777 florins pour la réfection de ses murailles – les postes de garde décuplés, les paysans chargés de surveiller les campagnes.
Le Syndic de la Garde allait encore envoyer des hommes vêtus discrètement en Savoie, à Annecy, dans le Chablais et dans les montagnes afin de réunir des informations sur les forces militaires espagnoles et savoir si des structures destinées à un coup de main sur la ville étaient en cours de construction. Car selon toutes les informations recueillies alors, notamment par le biais de l’ambassadeur hollandais Frans Van der Meer, ce n’était pas tant un siège qui était à redouter mais bien une attaque fulgurante, comme celle de 1602, restée dans toutes les mémoires genevoises sous l’appellation «Escalade».
Du reste, attentif à toutes les rumeurs, le lieutenant de justice avait même rapporté avoir eu vent d’un plan d’invasion de la ville par la porte de Cornavin un dimanche alors que la population aurait été dans les temples.
Et dès lors que des troupes alliées zurichoises arrivèrent à Genève en renfort le 21 février 1743, les propositions fusèrent, certains suggérant de construire un nouveau bâtiment de guerre pour conserver la maîtrise des eaux, les autres proposant de renforcer les bastions. Mais malgré les renforts militaires, l’audace des dragons espagnols ne faiblissait pas, certains n’hésitant pas à venir jusqu’en ville chercher des noises, comme le 26 février, lorsque deux traîne-sabres s’en étaient pris au portier de l’Hospital; ou le 4 mars, quand cinq dragons venus de leur cantonnement à Roche étaient entrés à Jussy après minuit, forçant la porte de Jacques Guillard pour le dépouiller de ses biens, provoquant une fusillade entre les soldats et les paysans venus prêter main-forte à leur voisin.
Les Genevois devaient cependant persévérer dans leurs efforts diplomatiques et entamer des négociations à la fin du mois de mars avec l’Infant d’Espagne à Chambéry pour que le traité de Saint-Julien de 1603 soit respecté. Il était temps car la situation se dégradait de plus en plus rapidement; le 22 de ce même mois, une compagnie de dragons en quête de nourriture avait investi Avusy et battu à mort un paysan genevois qui avait résisté, entraînant une mobilisation des villageois qui avaient réussi à mettre en fuite les soudards.
La victoire avait, toutefois, été de courte durée, car quelques heures plus tard, seize dragons avaient envahi le village et arrêté neuf malheureux qui furent emmenés à Thoiry. Toujours à court d’approvisionnement, les soldats espagnols venaient ainsi se servir sur les terres de la Seigneurie, fauchant les prés d’un capitaine genevois en juin et arrêtant des chariots de grain à Carouge sur ordre du marquis de Mina dans la foulée.
Les Espagnols acceptèrent, toutefois, de respecter le traité de Saint-Julien, entraînant une période d’accalmie malgré quelques incartades mineures aux accords. Car si les officiers firent appliquer une discipline stricte, certains soldats, poussés par la faim, y contrevinrent. En décembre 1743, deux d’entre eux étaient ainsi arrêtés par le sergent de la garde du Pont d’Arve alors qu’ils étaient en train de rançonner et maltraiter des paysans, et quelques jours plus tard des dragons se saisissaient d’un chargement de blé vers les Bougeries.
En janvier 1744 encore, des soldats espagnols en poste à Vésenaz dépouillaient des paysannes sur le chemin de Jussy, entraînant un dépôt de plainte auprès du marquis de la Mina à Chambéry qui accepta de recevoir la doléance et de punir les coupables.
L’Infant entendait bien faire respecter les accords pris avec Genève afin de s’assurer d’une certaine coopération de cette dernière. D’ailleurs, la pleine et entière liberté de commerce entre la Savoie et Genève était rétablie le 15 janvier 1744, et l’autorité souveraine de la cité fut dès lors respectée. En février 1744, le commandant de la Vega demandait ainsi la permission de faire passer son régiment de Calatrava levé en Andalousie sur le glacis fortifié de Genève pour couper au plus court en direction de Saint-Julien, ce que Genève lui refusa pour des raisons de sécurité, sans que cela entraîne de réactions de la part des autorités espagnoles.
Il était en effet commode pour Philippe Iᵉʳ de garantir un semblant de calme et de collaboration avec Genève, dont les alliés étaient ceux du Roi de France. De plus, les profiteurs de guerre étaient nombreux à aider les déserteurs espagnols à s’échapper du côté de la Suisse contre quelques piastres, voire des armes et même des chevaux rachetés à bas prix.
En avril 1746, une affaire fit grand bruit lorsque des paysans de Dardagny tinrent en respect une troupe espagnole faisant halte dans le cabaret du village et libérèrent les déserteurs ramenés à Chambéry. Certains Genevois réussirent même à débaucher des dragons en les faisant entrer à leur service et en les utilisant pour bloquer et voler des approvisionnements à destination de la cité.
Six ans durant, Genève échappa aux affres d’une nouvelle Escalade sans parvenir, toutefois, à épargner à son voisinage direct une occupation militaire sans doute très dure. En Savoie, les exactions commises par des contingents militaires furent d’une cruauté particulière, «à discrétion des gens de Guerre» selon plusieurs sources, et on comprend mieux les réactions particulièrement violentes des populations locales à l’égard des Espagnols, malgré la reconnaissance en 1743 du traité de Saint-Julien.
Et c’est sans doute avec soulagement que les autorités genevoises, alors que la guerre prenait fin, écrivirent aux différents belligérants, pour être incluses dans la paix qui était en train d’être négociée et qui serait finalisée à Aix-la-Chapelle le 18 octobre 1748.