Effectuer des opérations de comptage et de mesure fait partie du quotidien. De nos jours, les règles en la matière sont définies par le système international d’unités SI. Or pendant longtemps, cela n’a pas été aussi simple qu’aujourd’hui. La Suisse a, elle aussi, longtemps connu un enchevêtrement inextricable de mesures de longueur, de volume, de surface, de liquide et de poids.
Les céréales, les légumineuses, les noix et le sel, par exemple, n’étaient pas mesurés selon leur poids, mais selon leur volume. Pour ce faire, il existait des mesures de capacité différentes en fonction de la nature des matières sèches, selon qu’il s’agissait de grains bruts ou de grains égrugés (avec ou sans leur balle).
La diversité des mesures pour les liquides était également impressionnante. Outre les différentes unités régionales telles que le Saum, le setier (Eimer), le char ou la pinte, il existait également des mesures spécifiques selon le liquide. Ainsi, le vin était généralement mesuré avec une autre unité que le lait, l’huile, le cidre ou l’eau-de-vie.
Le Juchart (la pose), une unité de surface, illustre à quel point les unités de mesure étaient liées à l’objet à mesurer et aux conditions locales. Ce mot vient du latin iugum, qui signifie le joug. Il désignait à l’origine la surface d’une parcelle de terre qui pouvait être labourée en un jour par deux bœufs sous un joug. Par conséquent, un Juchart était beaucoup plus grand sur les terres à blé du Plateau que dans les zones de collines ou montagneuses.
Dans la viticulture également, on utilisait des mesures basées sur l’estimation du travail fourni sur une période donnée, telles que le Mannschnitz ou l’ouvrier. Et dans l’économie alpestre, il existait, outre ces types de mesures de surface, des mesures basées sur le rendement, répondant à une même logique: la valeur d’un pâturage était estimée d’après le nombre de vaches qui pouvaient y paître en été.
Les unités de mesure variaient en fonction du lieu et de l’utilisation. Mais pas seulement: un même terme désignait des quantités différentes selon les régions. C’était le cas de l’aune, mais aussi de la toise, une mesure de longueur. Celle-ci valait, dans de nombreux endroits, dix pieds. Mais il existait aussi la petite toise de six pieds. Le pied se divisait, quant à lui, en douze pouces de douze lignes. La toise fribourgeoise, par exemple, comportait quatre lignes de plus que la toise bernoise. Quant à l’aune, elle correspondait à neuf longueurs différentes sur le seul territoire du canton de Fribourg.
Le statisticien, géographe et historien Franz Kuenlin, membre de sociétés savantes comme la Société suisse d’utilité publique ou l’Académie royale de Lyon, écrivit à ce sujet en 1834 dans son ouvrage Gemälde der Schweiz: «Force est de constater que les différentes mesures ne sont pas partout uniformes». Et: «Combien il est nécessaire de mettre un terme le plus rapidement possible à cette diversité souvent pléthorique».
La France mit fin à cette diversité en 1791. Dans le sillage de la Révolution et du renversement de l’ancien système de domination, l’Assemblée nationale adopta un système de mesure qui balaya également les anciens poids et mesures royaux. En Suisse, l’harmonisation se heurta à des réticences. En 1801, la République helvétique, inspirée du modèle français, prit une première décision en faveur de «poids et mesures uniformes dans toute l’Helvétie». Mais avec la dissolution de la République helvétique dès 1803, la loi correspondante resta sans effet.
En 1835, douze cantons adhérèrent à un concordat définissant un «système suisse commun de poids et mesures», mis en place à partir de 1839. En outre, la Constitution fédérale de 1848 stipula:
Cette tentative resta, toutefois, un vœu pieux, car la Suisse romande, la Suisse méridionale et le canton d’Uri s’obstinèrent à conserver leurs systèmes. Par conséquent, différents systèmes continuèrent à coexister. Il fallut attendre l’adhésion de la Suisse en 1875 à la Convention du mètre, précurseur du SI, pour enfin unifier les poids et mesures dans l’ensemble du pays.
L’unification de 1848 et 1875 n'incluait pas la mesure du temps. Les différentes heures locales furent donc maintenues. Ainsi, il y avait environ 14 minutes de différence entre l’heure de Saint-Gall et celle de Genève. Ces disparités posaient un véritable défi aux secteurs du télégraphe et du chemin de fer, en plein développement à l’époque, ou plutôt à leurs utilisateurs.
Ainsi, les personnes qui prenaient le train au départ de Genève ou qui voyageaient via Genève devaient toujours avoir trois heures en vue: l’heure locale de Genève, l’heure de Berne, sur laquelle s’alignaient les trains suisses, et l’heure de Paris, selon laquelle les trains français circulaient. Sur la Tour de l’Île centrale à Genève figuraient donc trois horloges parfaitement visibles pour tous avec l’heure de Paris, l’heure de Genève et l’heure de Berne.
À partir du milieu du XIXe siècle, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays adoptèrent des fuseaux horaires coordonnés, basés sur le méridien zéro de Greenwich. Et les pays voisins de la Suisse passèrent à l’heure commune d’Europe centrale le 1er avril 1892.
Par la suite, le Conseil fédéral exprima, dans un rapport au Parlement du 17 juin de la même année, l’avis que:
Depuis 1894, la Suisse possède également un système de mesure du temps unifié, et depuis 1978, elle applique le système international d’unités à tous les poids et mesures.