Entre les films historiques et Ridley Scott, c'est une longue histoire d'amour, ponctuée au cours de sa carrière notamment par 1492 : Christophe Colomb, Gladiator, Kingdom of Heaven, Exodus, ou encore dernièrement avec Le Dernier Duel. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le réalisateur s'immerge dans l'époque napoléonienne, puisque son premier film, Les Duellistes, sorti en 1977, reste l'une des meilleures œuvres réalisées sur le sujet.
Napoléon Bonaparte Ier n'avait encore jamais eu de biopic d'envergure, bien que ses exploits ont souvent été abordés, et ce depuis les débuts de l'histoire du cinéma. Un film centré sur l'homme et sa vie était même l'arlésienne de l'illustre Stanley Kubrick. À la fin des années 1960, le réalisateur avait pour ambition de réaliser le plus grand film historique de tous les temps, projet écrit qui finira enterré par l'échec cuisant du film Waterloo (1970) au cinéma, basé sur la bataille du même nom, refroidissant n'importe quel investisseur à mettre autant d'argent dans un projet.
Cinquante ans plus tard, c'est finalement Ridley Scott, passionné d'histoire de France, qui portera à l'écran la vie du premier Empereur hexagonale. Point de gloire cependant, car dans le cinéma de Ridley Scott, les mythes sont déconstruits pour se mettre à hauteur d'homme.
Ainsi, le film s'avère être un biopic des plus classiques sur la forme, retraçant sa carrière d'officier, son accession au pouvoir, ses conquêtes puis sa chute et son exil sur l'île de Sainte-Hélène. Hors des champs de bataille, le film s'attarde également sur sa vie intime, en particulier sa relation avec l'impératrice Joséphine de Beauharnais.
Dans sa déconstruction du mythe, Ridley Scott semble s'être inspiré de Jean de La Fontaine et sa fable de La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Bœuf. En effet, derrière le général respecté des troupes, le portrait de Napoléon Bonaparte semble être celui d'un homme anxieux, dans les jupes de sa mère et soumis à une femme volage dont il est éperdument amoureux et incapable de la satisfaire.
Dans un costume qui semble être taillé trop grand pour lui, Napoléon, campé par un Joaquin Phoenix un brin burlesque, semble avoir compensé sa petitesse sur le champ de bataille, en envoyant au casse-pipe des milliers d'hommes pour flatter son ego. Cette vision, qui froissera probablement la plupart des royalistes, est certainement l'angle le plus intéressant du film. L'œuvre se concentre également sur la dynamique de couple entretenue par Napoléon Bonaparte et sa femme Joséphine de Beauharnais, à savoir une relation tumultueuse, fusionnelle, et toxique, qui révèle dans ses moments d'intimité le véritable visage de l'Empereur des Français.
Derrière cet aspect satirique, de loin la plus intéressante, le film est ponctué de scène de bataille, dantesque, comme Ridley Scott l'a prouvé plus d'une fois. La bataille d'Austerlitz de 1805, l'un des hauts faits de l'Empereur sacré un an plus tôt, est véritablement épique et développe le talent de stratège que fut Bonaparte. Une bataille d'une intensité folle, montrant bien l'horreur de la guerre, plongeant le spectateur au cœur de l'affrontement où des soldats russes et autrichiens se noient dans l'eau d'un lac gelé, pour ceux qui n'auraient pas été déchiquetés par la pluie d'obus ordonnée par un Napoléon au tempérament glacial.
Cependant, ces aller-retour entre scènes intimes et campagnes de guerre ne sont jamais harmonieux. Avec son montage composé d'innombrables ellipses, la fresque aura tendance à s'user durant les 2h37 qui relatent la vie de Napoléon de 1789 à 1815. Comme souvent pour les projets d'envergure destinés au grand écran, le film a subi des coupes qui se ressentent et devrait néanmoins avoir le droit à une «Director's Cut» selon le réalisateur. Une version de plus de 4h, plus harmonieuse et gommant les ellipses maladroites. Cette version, encore non officialisée, pourrait sortir directement sur la plateforme TV+ d'Apple, qui produit également le film.
Ridley Scott n'est pas seulement un féru d'histoire, mais également d'histoire de l'art et son Napoléon s'inspire directement de tableaux existant sur certaines scènes. Comme Le Sacre de Napoléon de Jacques-Louis David, ou Bonaparte devant le Sphinx par Jean-Léon Gérôme, reproduit à l'identique. Le film fait également honneur à l'histoire grâce à ses fabuleux costumes.
Si visuellement le film est une déclaration d'amour aux historiens, c'est sur le fond qu'il peut les froisser. De coller à la réalité, Ridley Scott, n'en a cure, c'est du cinéma et il faut raconter quelque chose, si possible visuellement, quitte à prendre des libertés avec les faits. Peu importe si Napoléon n’a jamais assisté à l’exécution de Marie-Antoinette ou fait bombarder les Pyramides, contrairement à ce qui est présenté dans le film.
Selon Joachin Phoenix qui interpète Napoleon Bonaparte, le long-métrage n’a pas pour but de retracer fidèlement et factuellement la vie d’un officier de l’armée devenu empereur des Français, mais de capturer l’essence d’un homme qui a marqué l’Histoire de l’Europe.
Même si les faits restent souvent les faits, l’Histoire elle-même est faite de divergences d’opinions et de textes qui se contredisent partiellement. S'il est vrai que le film prend des libertés certaines, il le fait cependant sans tomber dans le révisionnisme. Comme souvent dans la fiction, le 7e art n'est pas à prendre comme valeur documentaire.
Napelon est-il est un bon film? Assurément oui, bien qu'il fasse preuve d'un désespérant classicisme sur la forme. Son déroulé tristement chronologique a parfois des allures de laborieux cours d'histoire ponctués de scènes de batailles épiques. Le film ne se révèle audacieux qu'à de trop brefs moments, quand il se concentre sur la psyché de l'homme.
Car contrairement à ce que les tableaux montrent, Napoléon est dépeint ici comme un despote pathétique qui avait pour ambition de rivaliser avec ses voisins et jouer dans la cour des grands, quitte à envoyer trois millions d'hommes à la mort en jouant à des parties de Risk grandeur nature. Rien que pour ça, merci, Ridley.