Si Marvel domine le box-office grâce à sa recette du Marvel Cinematic Univers (MCU) consistant à faire des films indépendants et divertissants connectés les uns aux autres. La même voie empruntée par DC Comics et inaugurée par Man of Steel en 2013 s'est avérée chaotique, au point de tout balayer pour en faire un reboot général à l'horizon 2024. Ainsi, The Flash est le dernier coup de pelle sur la tombe du DC Extended Universe. La gerbe de fleurs sera déposée par Aquaman et le Royaume perdu en novembre prochain.
Curieux paradoxe puisque les principaux héros de DC comics ont dominé la pop-culture bien avant l'arrivée de Marvel sur les écrans, amorcé par le Superman de Richard Donner dès 1978 et suivi par Batman de Tim Burton en 1989.
Le petit écran n'était d'ailleurs pas en reste que ce soit avec Wonder Woman dans les années 1970 ou encore Lois & Clark et…Flash dans les années 1990.
Flash, pourtant au troisième rang sur le podium de la popularité chez DC Comics, n'aura jamais eu droit à sa propre adaptation cinématographique alors que les divers projets avortés se comptent depuis les années 80. C'est seulement en 2014 que l'attente prend fin, lorsque Warner Bros. présente au Comic-Con de San Diego son fameux «univers cinématographique DC». Batman V Superman de Zack Snyder fut présenté comme la pierre angulaire de l'univers connecté, annonçant dans la foulée le film chorale Justice League pour 2017 et un film The Flash pour 2018.
Si pour les fans de superhéros tout semblait être un rêve qui devenait réalité, le studio Warner Bros. aura réussi avec talent à saboter l'ensemble des fondations de leur univers cinématographique. Ainsi, Batman V Superman sera sacrifié sur la table de montage (alors que la version longue est un bon film) et l'échafaud sera définitif pour Justice League, censé être le pendant du Avengers de Marvel.
Un désastre industriel et financier qui s'est produit après que le cinéaste Zack Snyder a dû quitter le projet suite au décès de sa fille. La Warner en profita pour le remplacer par le réalisateur Josh Whedon, chargé de modifier le film jugé trop sombre afin d'y intégrer «la formule Marvel», plus coloré et drôle. Ainsi, le long-métrage sorti en 2017 qui introduisait Flash fut une calamité et le personnage cantonné à un rôle anecdotique de faire-valoir comique et inutile.
C'est uniquement en 2021, lorsque Warner Bros céda à la pression des fans en autorisant Zack Snyder à livrer sa propre version du film pour le lancement de la plateforme HBO Max que le sobrement intitulé Zack Snyder's Justice League permit de montrer l'étendue du gâchis. Ainsi, dans cette version, Flash est un véritable héros, dont le moment de bravoure durant le climax final montre tout le potentiel du personnage, et tout ce qu'aurait pu être le DCEU. Un paquebot qu'on aurait imaginé insubmersible, ayant fini dans les profondeurs de la médiocrité.
C'est ainsi que le film The Flash marque la fin d'une époque chaotique: l'univers DC tel que nous le connaissons est plus ou moins officiellement enterré, puisque Henry Cavill (Superman) et Gal Gadot (Wonder Woman) ne reviendront pas. Sans compter que le film en lui-même a subi de nombreux reports et réécritures, la crise du Covid-19 et les errances de son interprète principal, Ezra Miller, dont le comportement violent lui a valu de nombreuses condamnations.
Librement adapté de la bande dessinée Flashpoint de Geoff Johns, le film raconte comment Barry Allen, alias Flash, utilise ses pouvoirs lui permettant de remonter le temps en courant assez vite, désespéré de sauver sa mère assassinée et l'honneur de son père, le meurtrier présumé. Or, vous le savez, on ne joue pas avec les règles du continuum espace-temps, au risque de tout dérégler, comme quand on touche à la télécommande de papa.
Ainsi, lorsqu'il se retrouve dans le passé, Barry Allen rencontre inévitablement son double, qui n'est pas tout à fait le même, et réalise qu'il se trouve dans un passé sensiblement différent où les incarnations ne sont plus celles qu'il a connues. Ainsi, le Batman de Ben Affleck n'existe plus et il n'est autre que la version à la retraite de Michael Keaton du film de 1989. Quant au Superman d'Henry Cavill, il a laissé sa place à sa cousine, Kara Zor-El, alias Supergirl, interprétée par l'actrice Sasha Calle. Un retour dans le passé qui nous replonge également dans le film Man of Steel puisqu'on retrouve ce bon vieux General Zod (Michael Shannon), bien décidé à gentrifier la terre pour en faire une nouvelle Krypton.
Si le film par ses enjeux apocalyptiques peut sembler sérieux, il n'en est rien et il suit la traditionnelle structure de la comédie d'action. Le film est jonché de nombreuses blagues et situations cocasses portées par le duo des Barry Allen du présent/passé et force est de constater que l'humour fonctionne. Certains gags sont vraiment réussis et sont dignes de concurrencer les meilleurs Marvel, pour peu que l'on considère cela comme un gage de qualité.
Quant à Ezra Miller, difficile d'en parler sans évoquer son passif de délinquant. Tâchons (pour cette fois) de séparer l'homme de l'artiste et il faut admettre qu'il est un excellent Flash. Son jeu, relativement authentique dans les moments dramatiques, permet d'apporter un peu de profondeur à ce blockbuster qui fait son beurre avant tout sur de multiples références et caméos.
Si le film a tout d'une histoire de voyage temporel avec les paradoxes qui vont avec, c'est véritablement lorsqu’intervient le Batman de Tim Burton que le film surprend et commence à s'enfoncer. Celui qu'on n'avait plus vu depuis 1992 dans Batman: Le Défi a un rôle central. Ainsi, il arrive tel un Lionel Messi sur le terrain pour aider Flash et reformer ainsi un quatuor façon Justice League.
Malheureusement, dans un film qui se veut un divertissement joyeusement coloré, le Batman le plus gothique du cinéma se bat en plein jour et ses répliques semblent tout droit sorties d'une publicité pour un Happy Meal, ce qui lui donne une allure un peu grotesque. Ainsi sont les règles du fan-service: chercher à tout prix le plaisir coupable quitte à gâcher la source, comme on le ferait en diluant un Single Malt dans du Coca.
Ainsi, on se retrouve inexplicablement à retrouver un certain plaisir malgré la honte, régressif et masochiste, certes, mais gratifiant lorsqu'on retrouve les notes de Danny Elfman ou le rugissement de la Batmobile. Tel un reflex pavlovien, comme un chien qui reçoit sa friandise, on se surprend à accepter ce cross-over improbable, bien aidé par Spider-Man: No Way Home passé précédemment par-là et qui avait ouvert les portes du multivers au cinéma. Cependant, une fois le plaisir passé, il ne reste que l'impression d'une contrefaçon forcée.
À la fois une réussite et un gros gâchis, le personnage de Supergirl arrive beaucoup trop tard dans l'histoire pour qu'il exploite pleinement son potentiel. De plus, le film étant parfois d'une laideur incommensurable dans ses effets spéciaux, c'est malheureusement son personnage qui se noie le plus dans la bouillie de pixels s'agitant à l'écran. On peut néanmoins saluer le choix d'une actrice d'origine sud-américaine pour jouer ce personnage d'immigré interstellaire qu'on a emprisonné. Sasha Calle amène une intensité de jeu et une belle prestance à Supergirl et si vraiment cet univers est rebooté, on ne peut qu'espérer la voir revenir avec un peu plus de consistance.
Depuis quelques années maintenant, le genre super-héroïque a des allures de serpent qui se mord la queue. À croire que ces films n'ont tellement plus rien à raconter qu'il ne reste plus qu'à afficher les icônes d'antan afin de raviver des souvenirs heureux d'un univers étendu aujourd'hui à la dérive.
De plus, le film se contente de recycler quantité d'idées vues ailleurs, notamment pompées dans Retour vers le Futur, et ne semble jamais aller vouloir aller au bout de son concept. Une écriture sans doute victime des nombreuses mains qui sont passées sur son scénario et qui n'est pas aidé par tous ceux qui ont surfé sur le multivers avant lui, sans jamais faire aussi bien que la version animée de Spider-Man et son «Spider-Verse» ayant à jamais plié le game.
Néanmoins, le film n'est pas dénué de qualités, il a même beaucoup à offrir et fait preuve parfois de quelques coups d'éclat. Comme beaucoup d'œuvres du genre, le métrage débute de manière intelligente et ludique avant que l'audace ne fasse place à la grandiloquence des blockbusters se noyant dans l'action à base d'effets visuels si vilains que l'ensemble en devient épuisant. Si The Flash est un film malade, cela reste malgré tout un très bel hommage à la cosmologie DC Comics. Il reste un divertissement honorable qui revient de très loin et qui se vit comme le verre de l'amitié durant les funérailles de «l'univers cinématographique DC».
On se consolera de ce beau gâchis en se disant que, peut-être, il existe une autre réalité où le film est sorti en 2018 tel qu'il aurait du être: avec une bien meilleure allure.
The Flash, réalisé par Andy Muschietti, sur les écrans romands depuis le 14 juin.