Un bateau à moteur fonce sur une mer de brouillard, fendant les eaux grises et agitées. La caméra tangue au gré des vagues. «Le Titan!» s'écrie un passager. L'excitation perce dans sa voix. Au bout de son index, un étrange engin flottant. Les passagers s’engouffrent à l'intérieur, dans un espace exigu qui ferait frémir les plus claustrophobes d’entre nous. Bienvenue à bord du Titan. Il disparaîtra dans les abysses quelques jours plus tard.
C’est sur cette scène que s’ouvre Titan: Le naufrage d’OceanGate, documentaire fraîchement disponible sur Netflix et qui revient sur les circonstances ayant conduit à la disparition du minuscule submersible, avec cinq passagers à bord.
Anciens employés d’OceanGate, membres de la famille, lanceurs d’alerte, experts et enquêteurs de la Garde côtière américaine se relaient pour livrer leur point de vue sur les évènements de ce 18 juin 2023, lorsque le petit sous-marin est porté disparu, après 1h45 de descente dans les eaux glacées de l’Atlantique. Mais surtout, sur les années de travail et à l'engrenage infernal en place avant l'implosion.
Aux origines? Un homme. Stockton Rush, le fondateur de la société OceanGate, un «génie arrogant» qui se rêve en Jeff Bezos ou en Elon Musk. Son ambition? Devenir le maître des océans. Ses petits submersibles doivent briser les barrières et ouvrir les profondeurs à l'humanité. «En l’écoutant, on se disait: ce mec sait de quoi il parle», se souvient Joseph Assi, vidéaste et ex-employé, avec encore une pointe d'admiration dans la voix.
Habile commerçant, ambitieux, «différent», Rush Stockton est aussi un PDG remarquablement pressé. Avec lui, le management est brutal, le business model bancal et les magouilles récurrentes.
Par exemple, ses sous-marins, «non-classés», sont immatriculés aux Bahamas et lancés au Canada pour court-circuiter la juridiction américaine. Les «passagers» ne sont jamais qualifiés comme tels. Les risques de naviguer à bord de ses sous-marins sont réels, mais l'entreprise ne s'en cache pas vraiment, faisant signer des décharges à tour de bras.
Aux commandes de sa société OceanGate, Stockton Rush, ce personnage à la soif de succès, de reconnaissance et de découverte insatiable, prend des décisions qui s'avèreront fatales. A commencer par celle de la fibre de carbone, un matériau aussi léger que fragile, pour construire ses submersibles.
Stockton Rush n'aime être ni contredit ni mis en doute. Il le prend personnellement. Ses détracteurs sont écartés du projet les uns après les autres. «Briser des vies», il s'en moque. Quitte à engager des employés moins expérimentés pour combler les vides.
Des vides qu'on retrouve aussi bientôt partout dans la coque du submersible en fibre du carbone de ses engins. «Ça ressemblait à du gruyère», résume David Locheridge, un ingénieur d'OceanGate, chargé de rendre un rapport accablant sur la sécurité de l'appareil, en 2018 - qui lui vaut d'être licencié.
«Ça ne respecte pas les normes? On s'en fout!» lance Stockton Rush sur des images d'archives, après un plongeon d'essai à bord de son vaisseau, à près de 4000 mètres de profondeur, en 2019. Année à laquelle il construit un tout nouveau sous-marin à vocation touristique, toujours doté de la fameuse coque en fibre de carbone.
Là encore, les expertises manquent et les matériaux sont de mauvaise qualité. Les tests échouent.
«Stockton était tellement déterminé à aller jusqu'au Titanic que rien de ce qu'on disait ne changeait quoi que ce soit», se souvient Emily Hammermeister, stagiaire passé cheffe de projet, avant de quitter le navire. «Il n'était pas question que j'enferme quiconque dans ce submersible.»
Si la trajectoire menant à l'implosion du Titan peut parfois sembler un peu simpliste (l'ego d'un homme a-t-il suffi à lui seul à la disparition de ses cinq passagers?), le film n'en reste pas moins fascinant. Avec technicité et délicatesse, Netflix relève haut la main le pari de revenir sur ce drame survenu il y a deux ans - sans une goutte de voyeurisme ou de dramaturgie inutile.
Pour les amateurs du genre, il faudra repasser. Ce documentaire se veut d'abord une plongée glaçante dans une culture d'entreprise toxique. Dont l'issue semblait, plus que jamais désormais, inévitable.