Il ne voulait plus parler de sa vie. Mais pour quelques critiques spécialisées (ici, ici ou encore ici), il y a comme un raté. Après Flip (2017) et Jeannine (2018), deux albums portés aux nues pour leur maîtrise de l'intimiste, Lomepal avait avoué, cet été, dans les colonnes de Society, être «allé au bout de ce truc-là». Donnant ainsi à entendre la promesse d'un futur projet musical différent, que le public a supposé loin de l'éternel rhétorique du spleen qui a autant électrisé son succès qu'aggravé son mal-être.
Alors, ce vendredi 16 septembre, l'artiste français qui avait disparu d'Instagram pour mieux se retrouver a dévoilé le très attendu Mauvaise ordre (2022). Un opus ayant cependant, après écoute, agacé ceux qui s'étaient naïvement tenus au vœu d'un virage thématique à 180 degrés. Et puis, il y a eu les autres auditeurs. Ceux qui ont décelé au bout des quinze titres qui forment l'album une innovation: bien que toujours aussi mélancolique, le retour d'Antoine Valentinelli se démarque des précédents par un parti pris encore jamais affiché: se rapprocher au plus près des définitions plurielles de la souffrance pour ne plus la subir, mais au contraire se l’approprier et la réimaginer.
«Mauvais ordre», le premier morceau qui prête son nom à l'album annonce la couleur. Comme l'ont évoqué ceux ayant été déçus, rien d'étonnant aux premiers abords. C'est la couleur que celui qui a subi sa notoriété n'a que trop souvent peinte au cours de sa carrière solo: une production languissante, des paroles simples pour un univers aussi désenchanté que l'homme qu'il renferme.
On le concèdera aux détracteurs du nouveau projet musical de Lomepal, à l'instar de nombreuses de ses anciennes chansons, le trentenaire y parle encore de cette femme qu'il n'arrive pas à oublier, de ce verre d'alcool qui le chaperonne dans sa complainte, de cette vie qu'il n'arrive toujours pas à maîtriser. «A peu près», «Maladie moderne» et «Tee» offrent le même esprit. «Etna» va jusqu'à expliquer que le personnage se sent «infidèle» à sa vie et veut désormais «en baiser une autre». Mais de quelle autre vie parle-t-il? C'est justement ce point qu'il ne fallait pas manquer.
Ce cinquième morceau cristallise le point de rupture d'une existence en passe de (enfin!) purger ses peines. Dans «Etna» – presque à mi-chemin de l'album – le pathos est à son paroxysme: Lomepal se «fait baiser» par tout le monde, Lomepal va «faire feu», Lomepal se «noie». Celui qui a affirmé dans les micros de France Inter ne plus vouloir faire de projets autobiographiques adopte donc une méga-posture de star maudite. Dans la même tendance de cette souffrance exacerbée, «Auburn» désacralise les excès à travers des images fortes.
Ajouté à cela, comme dans un film, Mauvais ordre présente une pluralité de personnages: tantôt le pyromane, tantôt le vantard. Tantôt le mythomane, tantôt l'écolo. Il y a aussi celui qui pose les questions, et celui qui y répond. Les femmes sont également présentes: celle qui brise les cœurs, celle qui se prostitue et celle qui redonne espoir. Inspiré des meilleurs drames cinématographiques, les scènes se succèdent, les informations s'entremêlent. Les personnages ultra déprimés et ultra déprimants énervent autant qu'ils intriguent et très vite attirent. Ce n'est pas un accident, c'est un doux enchevêtrement de «miel et de vinaigre», comme il est hardiment répété au cours du projet.
Cette volonté de fictionnaliser les sujets qu'il maîtrise, soit la souffrance et les paradoxes, est d'autant plus évidente lorsque l'on voit les clips vidéos de «Tee» et de «Auburn», tous deux sortis avant la révélation de l'album. Dans les commentaires, les spectateurs ont particulièrement applaudi des images subjuguantes pour l'un, une trame cinématographique happante pour l'autre.
Alors il y a des choses qui ne changent pas. Oui. La musique d'Antoine est toujours aussi écorchée. Et puis, oui. Elle s'éloigne, comme avant, toujours un peu plus des sonorités hip hop qui ont révélé le Parisien en 2011 lorsqu'il s'appelait encore Jo Pump. Mais cette année il n'est plus question de vider son propre cœur ou de s'efforcer de faire du rap là où d'autres du secteur raflent plus aisément la mise.
A la différence des précédents opus, l'artiste qui a amorcé son retour sur les réseaux sociaux par l'annonce d'une prochaine tournée semble désormais pleinement assumer cette posture tout en spleen façon Cabrel. C'est un sujet qu'il maîtrise, et dont il semble avoir guéri, jusqu'à être devenu capable de la mettre en scène au possible. Comme une manière de se jouer de ses peines et de démontrer qu'il a enfin compris que ces dernières demeuraient une partie irrémédiable de son équilibre artistique. Et c'est une réussite. Lomepal n'a pas changé, c'est vrai. L'homme s'est juste enfin trouvé.