Une drôle de façon de fêter ses 70 ans. Même s'il y a quelque chose de touchant dans l'écho de certains textes dans leur version Renaud, le résultat des treize reprises de Métèque, son nouvel album sorti le 6 mai, est la confirmation d'un malaise. Reprendre ces joyaux du grand répertoire francophone à un stade où l'on sait pertinemment qu'on n'arrive plus à prononcer convenablement ni voyelles ni consonnes est un acte au minimum absurde...
On vous la fait courte. Avec cet opus, on passe du Métèque de Georges Moustaki (sans doute l'une des moins mauvaises prestations) au Temps des cerises d'Antoine Renard et Jean-Baptiste Clément, en passant par la sublime chanson L'Amitié de Françoise Hardy écrite par Jean-Max Rivière et Gérard Bourgeois. La voix chevrotante et le souffle saccadé de Renaud cassent les rythmes et les mélodies. C'est d'ailleurs lui-même qui le dit:
Entendons-nous: il n'y a pas que du mauvais dans ce projet.
Mais le jeu en valait-il vraiment la chandelle? A part pour dire «Je suis mort, qui dit mieux?» à la fin du disque, à quoi rime cette énième création de la dernière chance? A pas grand-chose. Et c'est toujours plus difficile de le reconnaître quand on est un grand admirateur de l'artiste et de son œuvre.
Renaud, c'est à son crédit, a su plusieurs fois renaître de ses cendres. En 1991, avec Marchand de cailloux, où on le découvre affaibli, le cœur meurtri par le deuil et la désillusion. En 2002, lors de la sortie de Boucan d'enfer, avec la chanson phare Docteur Renaud, Mister Renard, après un long détour du côté de l'alcoolisme profond. Quelques descentes aux enfers plus loin, il revient en 2006 avec Rouge Sang. Et après de nouveaux abîmes anisés, il fait son grand come-back avec un album digne et sobrement intitulé Renaud.
La boucle était bouclée. Il aurait fallu en rester là. Terminer sur une bonne note. L'artiste, pourtant, a cru devoir continuer sur sa lancée – mais quelle lancée? Fin 2019 sortait l'inattendue collection de chansons pour enfants Les Mômes et les Enfants d'abord!, puis, en février 2020, la désolante Corona song. Comme une longue tentative de survie. Une survie financière? Artistique? Existentielle?
Peu importe, après tout... Il s'agirait juste de ne pas nous faire oublier la magie de Mistral gagnant, Adieu minette, Laisse béton, En cloque, Déserteur, Où c'est qu'j'ai mis mon flingue, Socialiste, La teigne, Miss Maggie, Petit pédé et mille autres chefs-d'œuvre. Ce Renaud-là, où est-il aujourd'hui, si ce n'est dans un endroit où il demande au nouveau Renaud de le laisser peinard (au lieu de nous faire de la peine)?
Car oui, Renaud, Métèque est certainement votre album de trop. J'ai des sueurs froides à penser que vous avez d'ores et déjà confié être en préparation de reprises de Gainsbourg. Vous envisagez même de publier un album de chansons originales pour vos 50 ans de carrière, en 2025... Euh, par pitié, arrêtez. Sans quoi vous nous rendrez même nostalgiques de notre nostalgie.