Aéroport de Los Angeles, lundi matin. Kanye West et les premiers rayons du soleil fendent le lino des arrivées. Capuche sur le crâne, il chantonne son contentement: «Numéro un sur toute la planète, on a gagné, on a gagné, on a gagné.» Dans une atmosphère mêlant doucement gueule de bois, mâchoire en titane et couilles en or, le rappeur est alors interpellé par un journaliste de TMZ armé d'une caméra et d'une grosse grappe de questions franches du collier. Fâché, mais de bonne humeur (oui, c'est possible), l'artiste flinguera les plateformes de streaming qui se goinfrent et les marques qui l'ont abandonné, avant de s'excuser auprès des «kids» pour «toutes ces discussions d'adultes».
Tout en réajustant sa capuche, l'imposant quadragénaire avoue que s'il n'avait pas eu «la musique, les fringues et cette extraordinaire fanbase», «ils» auraient «réussi à nous détruire». Sans pour autant faire pénitence de ses nombreux postillons antisémites, il n'en a pas rajouté une couche. Une fois n'est pas coutume. Même quand le reporter tentera de le faire trébucher sur le conflit israélo-palestinien, la star considérée comme impropre à la consommation se bornera à rappeler qu'il ne dispose pas «d'assez de recul et d'informations pour s'exprimer», déviant très vite sur «ces 14 gamins qui crèvent chaque semaine» dans sa ville d'origine de Chicago: «Parlez-moi de ça plutôt».
Kanye West & His Wife Bianca At The Airport Today🥹♥️ pic.twitter.com/F28De1sTnZ
— Daily Yews Media💱 (@DailyYews) February 13, 2024
Quelques minutes plus tard, il sera repéré une dernière fois à l'étage de l'aéroport californien, alpaguant de loin son amoureuse, Bianca Censori, alors en route pour le rejoindre. Avant de s'engouffrer dans la fournaise de Los Angeles, il enregistrera une dernière vidéo sur son téléphone, comme pour clouer le bec à ceux qui l'ont égratigné pour avoir posté trois fois la même séquence de sa femme, qui guinche au vernissage de son nouvel album organisé en marge du Super Bowl.
Sans se vautrer dans de la psychologie de tabloïd, Kanye West va bien. Disons plutôt que, comme on évoquerait un cancéreux en rémission, il va mieux. Et la raison principale de ce moral en érection est à chercher du côté des hit-parades. Depuis la sortie de son album Vultures, Volume One, fabriqué en duo avec Ty Dolla $ign, le rappeur s'est rassuré en voyant que personne ne l'avait vraiment abandonné derrière l'une ou l'autre de ses polémiques.
En deux jours, son nouveau disque a été écouté à plus de 100 millions de reprises sur les plateformes de streaming et s'est payé le luxe de dépasser (quelques heures) la reine Taylor Swift dans le classement «Global Artist» de Spotify. Sauf catastrophe, Kanye West devrait terminer la semaine au sommet du Billboard.
Comme nous vous le disions lundi, Vultures, Volume One a le mérite de ne pas être totalement à jeter, malgré quelques rimes malodorantes et puériles. Loin d'être un chef-d'œuvre, cet album marque d'abord le retour musical d'un génie en disgrâce, avant la sortie de la suite, en mars puis en avril de cette année. S'il fallait invoquer ce satané développement personnel, on pourrait même se risquer à dire qu'il aurait dû se mettre à bosser bien plus tôt, au lieu de tuer le temps en suicidant sa réputation, à grandes salves d'affirmations problématiques.
Eternellement en équilibre fragile entre l'ambigüité subie et la provocation volontaire, Kanye West reste avant tout ce type insaisissable, dont on ignore finalement presque tout. Lundi, au micro de TMZ, il est revenu sur son terrible accident de 2002, lorsque sa Lexus s'est fracassée contre une autre bagnole, à quelques mètres du W Hotel de Los Angeles. Un crash qui, selon lui, sera responsable de son «autisme», alors qu'on l'aurait «bourré de médocs» pour cette «fake bipolarité».
De ses accoutrements à sa vision du monde, l’homme ne fera jamais rien comme tout le monde. A titre d'exemple, en plein Super Bowl, les téléspectateurs ont pu apercevoir une étrange séquence amateure. Kanye, manifestement assis à l'arrière d'un taxi, explique qu'il a investi tout le pognon dans la diffusion de cette vidéo, mais que dalle dans sa réalisation: «Ce que je voulais simplement vous dire, c'est que sur Yeezy.com, vous trouverez des chaussures et... et... c'est tout». Quelques secondes que l'on est en droit de qualifier de lunaires, surtout quand on sait qu’elles partagent l'affiche avec les publicités les plus léchées et onéreuses du monde.
Kanye West spent $7m on a Super Bowl commercial but $0 on the production and filmed it from his phone instead pic.twitter.com/c0dvx9Hmsp
— Historic Vids (@historyinmemes) February 13, 2024
Selon ses propres aveux, la diffusion de ce clip lui a coûté 7 millions de dollars, mais en rapportera trois fois plus, si l'on en croit cette capture d'écran où l'on aperçoit son associé, le commentateur d'extrême droite Milo Yiannopoulos. Oui, le même qui fut un temps son directeur de campagne, lorsque Ye se rêvait président des Etats-Unis.
En quelques mots cueillis à la volée, dans les dédales d'un aéroport secoué par sa présence, on comprend que Kanye West ne comprend pas tout. Sincèrement touché par les conséquences de ses déclarations furieusement indigestes, le rappeur est toujours en guerre contre son meilleur ennemi: une spontanéité enfantine et inflammable, qui a un jour le pouvoir de l'élever, puis de le terrasser la seconde d'après. A lui, l'adulte incontrôlable, d'assumer. Mais bien vantard est celui qui est capable d'affirmer avec assurance que Kanye West pense ce qu'il dit et dit ce qu'il pense.
Pour son bien (et celui du débat public), on ne peut que lui conseiller de planter sa tente en studio, de lover sa moitié et de fuir les micros, surtout quand ils se tendent de propager autre chose qu'une chanson.