J'en étais à la première page du chapitre 10 de «La cité aux murs incertains», le héros venait de ranger la vaisselle et de clore les volets, lorsqu'une petite phrase a priori anodine m'a saisi. J'ai aussitôt cessé ma lecture pour en souligner chaque mot, de sorte à pouvoir les retrouver plus tard et les relire à chaque instant de la journée. Cette phrase la voici:
6 mots, 40 caractères (espaces compris) et le début d'une nouvelle aventure, une sorte d'histoire dans l'histoire, dont j'étais cette fois le personnage principal. Car avant de replonger dans l'univers «murakamien», il me fallait bien répondre à cette question: pourquoi ces quelques mots m'avaient-ils tant fasciné? Par quel tour de passe-passe l'immense auteur japonais était-il entré par effraction dans mon intimité?
Pour m'en faire une idée, j'ai décidé de faire comme tous ceux qui se trouvent confrontés à un défi qui leur semble bien plus grand qu'eux, et j'ai séparé le problème en plusieurs parties. J'ai donc segmenté la phrase comme suit:
Ainsi, peut-être, la somme des trois parties formerait un tout dont je saurais saisir un peu de la subtilité.
Le sujet concerne donc le temps, une notion aussi vaste et incompréhensible que l'amour, la réalité ou la mort. Autant de thèmes qu'Haruki Murakami traite dans ses oeuvres et pour lesquels chacun de nous a sa propre définition. L'auteur se garde bien d'ailleurs de fournir des explications précises sur ces sujets. Il donne simplement matière à réflexion à ses lecteurs, allant parfois jusqu'à remettre en cause tout ce que ses fans tenaient jusqu'ici pour acquis.
Or que fait-il, ce «temps» que le Japonais évoque dans son dernier livre? Eh bien, il remplit la fonction qui lui a été en quelque sorte attribuée à la naissance: il s'écoule, indifférent au monde extérieur, dont il n'a d'ailleurs pas besoin pour s'exécuter. Le temps s'écoule, c'est ainsi et il n'y a rien que l'on puisse changer.
Mais il ne le fait pas n'importe comment non plus. Le temps s'écoule, certes, mais «en toute tranquillité», comme la Venoge en automne.
On comprend mieux pourquoi, dans la phrase qui suit immédiatement celle que nous venons de citer, le héros renonce lui aussi à tout ce qui l'entoure, se concentrant exclusivement sur cette petite source de vie qui coule en chacun de nous: «Je m'assieds sur une chaise, libère ma conscience de mon corps. Je la laisse courir aussi longtemps qu'elle le souhaite dans les vastes champs de mes pensées (...)»
Voilà tout ce qui fait la force et la beauté du «temps qui s'écoule en toute tranquillité»: il offre une libération puis permet une balade intérieure. Il est le début d'un peu de sérénité, exactement comme un livre d'Haruki Murakami.
On ne saurait terminer cet article sans rendre hommage au travail de la traductrice Hélène Morita, spécialiste de l'auteur japonais et de toutes ses subtilités qui en font l'un des plus grands auteurs de ce siècle.