Une série qui respire bon la poudre à canon, voire le soufre pour les proches de feu l'entrepreneur français. Des proches qui n'en voulaient pas: «Cette série, je ne la redoute pas, je la déplore», a lancé sa veuve, Dominique Tapie, dans Monaco-matin. Même l'intéressé s'était opposé à ce projet.
Mais Tristan Séguéla a fait la sourde oreille, il voulait brosser le portrait de Bernard Tapie, en faire son anti-héros par excellence. Le fils de Jacques et son acolyte Olivier Demangel ne voulaient pas d'un documentaire, mais bien d'«une série fiction pure». Il leur fallait une tronche pour l'interpréter: place à Laurent Lafitte qui se glisse dans les pompes de Bernard Tapie, la gouaille et le costume du capitaine d'industrie avec.
Outre tout ce pataquès qui entoure ce projet sériel, qu'en est-il de cette relecture du sulfureux ex-président de l'OM? La série prend des versants intimes du patron, s'engage à tombeau ouvert sur les reliefs du parcours professionnel de «Nanard» et compose un scénario de facture classique, bien torché, porté par une réalisation survitaminée.
Tapie, c'est un gars qui voulait faire de son nom un mythe; de sa légende une saga française. La série débute alors lorsqu'il passe dans un télé-crochet, aux côtés d'un certain Michel Polnareff. On lui prédit une plus grande carrière dans la chanson que son collègue de plateau - la suite de l'histoire, on la connaît. Sous ses faux airs de Frederic François, Tapie et son timbre de voix n'ont pas fait mouche sur scène. Une première baffe, un premier échec qui ne freinera pas le Parisien.
Les premiers épisodes calibrent un regard sur le passé méconnu de Bernard Tapie, sur ses premiers pas d'entrepreneur. On le voit à la tête d'un magasin d'électroménager, puis perdre les pédales après que son investisseur, Loiseau (Fabrice Luchini tout en malice et glacialité), ne lui assène un tacle assassin. Pas près de se laisser abattre, Tapie repart de plus belle, avec sa compagne Dominique (excellente Joséphine Japy), il charbonne et commence ses rachats pour se départir au plus vite de son pédigrée de fils d'ouvrier.
Il goûtera à tout, il imprégnera la France de son empreinte, où le fric et les belles caisses s'alignaient au fur et à mesure des succès. Comme tout art calibré, le morceau de Claude François vient résumer la vie de Bernard Tapie: «Tout éclate, tout explose». C'est précisément la réponse au dilemme de l'immobilisme qu'il combat bec et ongles: il faut mouiller le maillot et dégainer, quitte à dévier de l'axe moral.
Comme rappelé à chaque début d'épisode (au nombre de sept), la série est librement inspirée de faits réels. Tapie est construit chronologiquement, suivant l'existence effrénée pour grandir, gravir l'échelle sociale et se frotter aux codes des riches, lui le nouveau venu, qui n'a pas peur des mots qui fâchent. Il aimait rentrer dans le lard - et c'est un euphémisme.
C'était un meneur d'hommes. Ce discours colle à merveille à la série, au personnage mangé par l'orgueil et dopé au déterminisme social.
Le banlieusard idéaliste devenu bulldozer de l'esbroufe se perdra dans ses élans mégalomanes, avant le crash attendu. «Moi je fonce tout droit, sans me retourner, sans regarder dans le rétroviseur, toute ma vie», oppose-t-il à Jean-Pierre Bernès, directeur sportif du club. Un gagneur, un voyou qui écrasera ses adversaires coûte que coûte. Cash et intimidation, Tapie utilisera tous les subterfuges pour s'en sortir. Ce sera le cas lors du scandale «VA-OM» - une tricherie en 1993 pour assurer le titre de champion de France au club phocéen, en achetant des joueurs du club de Valenciennes.
Jacques Glassman (Sylvain Jouret a enfilé les crampons), qui ébruitera la tricherie, dira face à la commission: «C'est important les valeurs dans la vie d'un homme.» Cette phrase, aussi simple, ne fera qu'ébaucher le portrait de Bernard Tapie, un homme qui fera fi de ses valeurs pour marcher sur la loi. «Au proc', dès que tu montres les canines, il rentre à la niche», claque Tapie à Bernès, rabougri et désarmé, après les premières plaintes pour corruption.
Or l'animal refuse de sentir les bras du précipice existentiel. La fragilité commence à se lire sur les rides d'un Laurent Lafitte, intense, capitaine d'un navire qui prend l'eau de toutes parts. Son empire qui se fissure, à force d'obsession, à force d'affronter le système, le voilà débouté: il vend Adidas et Mitterand lui dit au revoir.
Son mandat de 52 jours comme ministre lui fera perdre le sens de la réalité. Séguéla et Demangel sondent cette notion de grandeur, cette fureur de vivre. Un buteur dans l'âme, droit au but diraient les fadas de l'OM. Malgré les succès sportifs, président d'un club ne lui suffit pas. Le sacre européen en club, le toit du football, et l'obsession d'être le grand chef de l'Elysée.
Il représente un tout, l'alliance entre la gauche et le capitalisme - oui oui, du macronisme avant Emmanuel Macron dans ce personnage.
Dans ce grand marasme politico-sportif, Tapie n'est pas une hagiographie, ni le portrait d'un escroc, mais bien celui d'un gamin qui rêvait grand et qui a persévéré adulte. Son éternelle soif de pouvoir est densifiée par ce rythme bien distillé sur ces sept épisodes, bourrés de punchlines, de moments de comédie, qui dépeignent ce bonimenteur.
Parce que la bouche ouverte, Bernard l'a toujours eue. Ils seront peu à le faire taire, comme cette dernière séquence qui dégommera l'entrepreneur qui s'est vu trop beau, trop grand. Parti de rien, il aura bichonné sa légende, il aura brûlé les étapes pour arracher ce pouvoir qui l'hypnotisait. Et Tapie, à travers la plume de Séguéla et Demangel, offre une vision frontale, d'un homme pugnace abonné au grandiose avant que sa grandeur ne s'efface.
En intégralité dès le 13 septembre sur Netflix.