C’est fou comme l’argent (ou plutôt son manque) peut pousser l’être humain à entreprendre absolument n’importe quelle absurdité. En l’occurrence, mourir. (Vous allez comprendre très vite.)
«Squid Game» (오징어게임 en coréen), c’est le nouveau joujou qui tue (vraiment) de Netflix. Une sorte de Kinder Surprise dans lequel on aurait glissé une lame de rasoir. Une balle brûlée à laquelle on aurait vraiment foutu le feu. Une marelle dont le sol ne serait rien d'autre qu’une immense flaque de clous rouillés infestée de contrôleurs du fisc. (Vous avez compris la brutalité de cette nouvelle fiction de Hwang Dong-hyeok.)
Ah oui, encore une chose avant qu'on tape dans le gras: «Squid Game», ça veut dire «jeu du calamar» en français.
C’est bien simple, après deux épisodes, vous pourriez vous surprendre à considérer les employés de l’Office des poursuites comme des gens plutôt affables au moment de vous tendre ce commandement de payer aussi lourd que votre irrécupérable existence. Ça ne rigole pas en Corée avec l’argent et le rang social. On exagère? A peine.
Si «Squid Game» avait été une série suisse, elle aurait très bien pu se résumer ainsi:
Sans compter que la règle du jeu est d’une épouvantable dichotomie: tu gagnes, t’es riche, tu perds, tu crèves.
Maintenant qu'une partie du pitch est vissée dans vos rétines rougies par l’effroi (et la curiosité malsaine), allons un peu plus loin dans l’exploration de cette formidable et horrifique bestiole sud-coréenne:
C’est maintenant que «Squid Game» devient foutrement pervers. (Encore plus disons.) Le FunPlanet bunker, planté au sommet d’une île sud-coréenne, est paradoxalement dessiné sur une ligne graphique digne de «Charlie et la chocolaterie». Soyons francs, un être humain un tant soit peu équilibré s’attend plus volontiers à être malmené entre les quatre murs d’une geôle russe d’où pisse le moisi, que dans un Happy Meal géant surveillé par une immense fillette en carton-pâte.
Et c’est tout le génie de cette série: votre cerveau qui va presser sur play dès ce soir ne voudra pas admettre qu'on puisse risquer de crever en jouant à «1, 2, 3 soleil». Qu'on puisse troquer une corde à sauter contre un flingue. C'est inconcevable. Des jeux d'enfants, merde!
On pourrait aussi vous dépeindre «Squid Game» comme une formidable satire sociale épinglant l’intraitable société de surveillance consommation qui gangrène cette Corée du Sud, étranglée par le confucianisme et la K-pop, mais on n’est pas Télérama.
Faut-il le rappeler? Ce bunker de Teletubbies en banqueroute n'est pas une prison et personne n'est coupable (en apparence). Ces 456 candidats dans des survêt' moches sont absolument cons consentants. Ils ont accepté de participer à une effroyable colonie de vacances durant laquelle l'odeur du sang et de l'argent se mêle sans bégayer à la couleur de l'innocence. (Oui, vous pouvez aimanter cette dernière phrase poétique sur votre frigo, mais payez vos factures et mettez un peu d'argent de côté, on ne sait jamais.)