En 2016, j'ai écrit pour watson sur les points communs entre Tesla et Apple. Dans le titre, je demandais: «Est-ce que Tesla est le nouvel Apple?» En effet, il existait déjà à l'époque des parallèles frappants entre les deux géants de la Silicon Valley, Tesla ayant toutefois transféré son siège social à Austin, Texas.
J’ai tout de même souligné qu'Elon Musk avait encore beaucoup à apprendre de Steve Jobs. Je faisais allusion aux problèmes de production du pionnier de la voiture électrique, qui ont débouché sur des problèmes de livraison et une mauvaise publicité.
Alors que le fabricant de l'iPhone battait les records de vente et que les actionnaires s'en mettaient plein les poches, Tesla titubait dangereusement près du gouffre et les spéculateurs de Wall Street pariaient sur une chute brutale.
Six ans plus tard, il est temps de réévaluer la situation. Elon Musk a fait taire tous les sceptiques et Tesla vaut plus que jamais en bourse.
En raison de la catastrophe climatique qui se profile de plus en plus, l'électromobilité est au cœur de l’actualité. Les «smartphones sur roues» prennent le pas sur leurs homonymes sans roues. Ils sont le nouveau symbole de statut social et offrent à leurs utilisateurs une image «écolo».
Cet article s'intéresse aux points communs et aux différences entre Apple et Tesla, qui laissent penser que ce dernier va dépasser la pomme de Steve Jobs...
Quand Steve Jobs a présenté le premier iPhone en 2007, beaucoup se sont moqués de lui. Non pas les consommateurs, qui allaient s'arracher ce nouveau téléphone à écran multi-touch, mais les géants de l'époque comme Nokia et Microsoft.
Dès les premières années, l'iPhone était largement supérieur à tout autre appareil mobile sur le marché, écrit l'expert financier et auteur Vitaliy Katsenelson. L'Américain a rédigé une série passionnante en onze parties sur Tesla, Elon Musk et la révolution des voitures électriques (voir les sources).
Katsenelson, qui s'occupe professionnellement de spéculation boursière et d'autres investissements, s'est acheté une Tesla afin d'étudier personnellement le phénomène.
La conclusion de son analyse mérite d'être citée ici: de même que l'on ne peut plus revenir à un téléphone portable «bête» (un dumbphone) une fois que l'on a été mordu par le smartphone, il n'achètera plus jamais de voiture à essence.
Aujourd'hui, les smartphones fonctionnant sous Android sont souvent moins chers et offrent parfois de meilleures fonctions, a constaté Katsenelson dans sa vaste analyse. Et pourtant, Apple a réussi à acquérir une position unique.
En effet, Apple a créé un écosystème relativement isolé qui offre divers avantages non seulement à l'entreprise elle-même, mais aussi aux clients. Et ce au niveau de la qualité du matériel et des logiciels vendus, des services fournis ou de l'assistance. Résultat: les utilisateurs sont tenus en haleine de génération en génération d'appareils, et Apple ne cesse de s'enrichir.
Est-ce que Tesla parviendra à créer un effet de lock-in similaire pour sa clientèle?
Selon Elon Musk, Tesla ne veut pas créer un «jardin clos» («walled garden») et l'utiliser pour déjouer la concurrence. Le fait que l'entreprise ouvre son réseau de chargeurs Supercharger aux voitures électriques d'autres constructeurs témoigne d'une approche ouverte.
Mais une chose est sûre: l'incroyable sensation que l'on ressent en accélérant dans une voiture électrique n'est pas réservée aux conducteurs de Tesla. Les années à venir montreront si et à quelle vitesse la concurrence pourra combler son retard technique.
Le modèle commercial traditionnel de l'industrie automobile ne fonctionne pas avec les véhicules à propulsion électrique. Elon Musk l'a compris très tôt, et a copié Apple.
Les Tesla sont composées de beaucoup moins de pièces que les voitures diesel ou essence. Elles tombent donc moins souvent en panne. Le service après-vente se limite à des contrôles réguliers et au remplacement des pneus, etc. Le modèle traditionnel du concessionnaire et les recettes de service juteuses qui vont avec ont fait leurs temps.
Comme le fabricant de l'iPhone, Tesla gère l'ensemble du service client – de l'achat d'un nouveau produit à la mise à niveau vers la prochaine génération, en passant par la maintenance.
Apple et Tesla ont tous deux pour stratégie commerciale de développer un écosystème complet de matériel et de logiciels pour leurs produits. Tesla a sa méthode de recharge rapide Supercharger, tandis qu'Apple a par exemple misé sur son propre connecteur Lightning.
Cela n'a nui à aucun des deux, bien au contraire.
Dans les enquêtes auprès des consommateurs, Apple et Tesla obtiennent régulièrement les meilleurs scores. En d'autres termes: les clients paient des tarifs premium et sont tellement satisfaits de ce qu'ils achètent qu'ils en font volontairement la publicité, voire du prosélytisme.
Comme le géant à la pomme, Tesla mise sur ses propres canaux de distribution et points de vente et un grand magasin en ligne.
Elon Musk l’a souligné très tôt: sa société se considère comme une entreprise technologique et non comme un constructeur automobile. On présente à la clientèle une «aura d'innovation high-tech» afin de justifier le prix d'achat plus élevé.
De fait, il existe de grandes similitudes dans la présentation des produits de l’entrepreneur sud-africain et ceux de Tim Cook. Tesla a d’ailleurs engagé un ancien cadre supérieur d'Apple pour aménager ses salles d'exposition.
Comme nous l'avons vu plus haut, Apple et Tesla misent sur l'intégration verticale. Du matériel au micrologiciel, en passant par le système d'exploitation, les applications et les services, tout provient d'une seule et même source. Cela simplifie l'imbrication des composants.
Apple poursuit la stratégie de développer tous les composants importants de ses produits «en interne» et d'avoir ainsi un contrôle total. L'entreprise repose sur un système mondial sophistiqué de sous-traitants. Un engrenage parfaitement adapté qui assure de grandes marges de profit, mais qui a ses pièges.
La Chine n'est pas seulement le plus grand potentiel de croissance d'Apple, c'est aussi le plus grand risque, car la guerre économique avec les Etats-Unis pourrait à nouveau s'envenimer. Foxconn, avec ses usines d’iPhone en Chine, est un partenaire irremplaçable.
Tim Cook, stratège, ne le sait que trop bien. Il a conclu très tôt un pacte de plusieurs milliards avec le régime de Pékin. Depuis, Apple est devenue la marque la plus importante là-bas.
En faisant abstraction de toutes les spéculations, on peut estimer que Tesla devrait être mieux positionné à moyen terme grâce à ses Gigafactories. Elon Musk prévoit des usines proches de la clientèle, que ce soit en Amérique, en Asie ou en Europe. L'entreprise marque ainsi sa présence, mais crée également de nombreux emplois et une valeur ajoutée à laquelle peu de régions du monde renonceraient délibérément.
Vitaliy Katsenelson commente:
Ironie de l'histoire: l'industrie automobile traditionnelle a supprimé l'intégration verticale il y a des décennies.
Les guerres de brevets d'Apple sont légendaires. Les Californiens défendent leur propriété intellectuelle avec une armée d'avocats. Samsung, entre autres, l’a appris à ses dépens.
Il en va tout autrement pour Tesla.
Pour le grand public, ce fut un choc lorsqu'Elon Musk a publié en juin 2014 une déclaration intitulée «All Our Patent Are Belong To You». En bref, le pionnier de la voiture électrique mettait sa propriété intellectuelle à la disposition de tous les intéressés et promettait de ne pas intenter de procès pour violation de brevet contre quiconque utilisait la technologie.
L'entreprise aurait fait cela dans le noble but de faire progresser la mobilité électrique respectueuse de l'environnement.
L'annonce de la stratégie en matière de brevets open source a été assez controversée dans le monde de l'automobile. Il semblait inimaginable qu'une quelconque entreprise, y compris Tesla, puisse rivaliser sur le marché automobile sans un solide portefeuille de brevets.
Mais ce que Tesla a réellement fait, c'est créer une situation de départ dans laquelle elle peut utiliser la technologie brevetée d'autres constructeurs automobiles sans devoir conclure des accords de licence réciproques.
Cela s'est avéré payant lorsque de plus en plus d'entreprises du monde entier se sont lancées sur le marché des voitures électriques.
En fait, Tesla avait passé des années à protéger les brevets de sa technologie automobile innovante avant d'annoncer sa politique de brevets open source. Ces droits n'ont pas disparu avec la publication d’Elon Musk. Ils peuvent toujours être appliqués comme n'importe quel autre brevet.
Le fabricant de l'iPhone a mis en place une puissante machine de relations publiques et de marketing sous Steve Jobs, perfectionnée par Tim Cook. Les journalistes (dont l'auteur de ces lignes) sont choyés. Cela signifie qu'ils obtiennent un accès exclusif aux nouveaux matériels et logiciels ainsi qu'à des interlocuteurs compétents, et que les demandes journalistiques reçoivent une réponse rapide.
Tesla ne fait pas de travail médiatique au sens strict du terme. En Europe et en Asie, l'entreprise emploie certes des personnes chargées des relations publiques, et des adresses de contact pour la presse figurent tout de même sur le site web de Tesla. Mais selon un initié, l'équipe de presse a été supprimée en 2020. Les journalistes se plaindraient depuis longtemps du fait que l'on ne réponde presque plus à leurs demandes, écrit le Handelszeitung.
En contrepartie, le patron de Tesla tweete très régulièrement.
Le compte d’Elon Musk est suivi par près de 80 millions de followers. Et c'est effectivement le boss en personne qui y écrit. Ce qui apporte à l'entreprise une grande publicité gratuite, mais aussi des ennuis. Les tweets de Musk ont donné lieu à plusieurs reprises à des plaintes juridiques – l'autorité américaine de surveillance des marchés boursiers l'a déjà sanctionné pour cela. Mais cela ne freine pas vraiment le visionnaire de la technologie.
Il est prouvé que le fabricant de l'iPhone s'engage pour des conditions de production et de travail plus respectueuses de l'environnement. Le profit reste toutefois la priorité absolue des entreprises orientées vers le rendement économique. Ainsi, pour des raisons financières, Apple a des stratégies très discutables: la réparation de matériel défectueux par des tiers indépendants est difficile, par exemple. D'autres produits, comme les très populaires écouteurs sans fil AirPods, sont en fait de coûteux articles jetables.
Tesla s'en sort mieux dans la mesure où l'entreprise se concentre sur des produits qui suivent la transition énergétique. L'avenir appartient à la propulsion électrique – avec de l'électricité produite dans le respect de l'environnement, qui doit être stockée dans des batteries ou des accumulateurs recyclables.
Elon Musk est à l'origine de cette révolution.
Il faut tout de même garder à l’esprit que cette révolution repose également sur l'exploitation massive des ressources naturelles.
Tesla serait «comme Apple il y a 20 ans». C'est avec cette déclaration qu'une analyste financière a fait les gros titres en 2020. Les parallèles étaient également assez évidents si l'on considérait l'état de l'industrie automobile avant l'arrivée de Tesla sur le marché et si l'on se souvenait de ce qu'étaient les secteurs de l'informatique et de la téléphonie mobile avant l'iPhone, l'iPad et le Mac.
Les challengeurs inventifs qui plaçaient les besoins des utilisateurs au centre de leurs préoccupations ont toujours été accueillis à bras ouverts.
Le bilan est bien connu et ne peut plus être contesté, même par les fans les plus acharnés des véhicules à combustion: une fois de plus, une entreprise technologique de Californie, ou plutôt de la Silicon Valley, a bouleversé le monde économique, révolutionné des secteurs entiers et conquis la bourse.
On est en droit de se demander: Elon Musk serait-il une version améliorée de Steve Jobs?
On a dit du patron d’Apple qu'il avait créé un «Reality Distortion Field», un champ de distorsion de la réalité, en français. En tant que visionnaire impitoyablement ambitieux, il a poussé ses collègues et ses subordonnés à se surpasser. Steve Jobs ne se limitait pas à ce qu'on considérait comme réalisable: il allait bien au-delà. C'est ce qu'un vieil ami et compagnon d'armes a déclaré à son sujet:
Comme Steve Jobs, Elon Musk se fixe des objectifs impossibles. Il en atteint la moitié avec plusieurs années de retard. L'autre moitié, soit il ne la réalisera pas, soit il ne l'a simplement pas encore atteinte – l'avenir nous le dira.
Elon Musk est un entrepreneur digne d'un film de super-héros. Il est le Tony Stark de la Silicon Valley – et pourrait s'écraser à tout moment, comme nous allons le voir.
Le cofondateur d'Apple est décédé en 2011 et a assuré sa succession des années avant sa mort. Tim Cook, stratège réfléchi et renard des finances, a pris la place de Steve Jobs et a conduit l'entreprise vers des eaux plus calmes et encore plus lucratives.
L'énorme succès d'Apple est avant tout dû à la gestion des produits et à un contrôle opérationnel strict, et non à la conception de beaux produits. C'est ce qu'a constaté le journaliste américain et spécialiste d'Apple Daniel Eran Dilger dans un article d'opinion qui mérite d'être lu (voir sources). Les conditions pour cela ont été créées dans les années 2000 par le directeur de l’exploitation pratiquement invisible de l'époque. Son nom: Tim Cook.
Un tel personnage, qui tire les ficelles logistiques en arrière-plan, semble faire défaut au patron de Tesla, commentais-je dans mon article d'avril 2016. Les choses ont changé l'année suivante, lorsque le Suisse Sascha Zahnd a rejoint Tesla. C'est en grande partie grâce à ce manager expérimenté que l'entreprise a pu sortir de l'enfer de la production et prendre son envol.
En tant que vice-président de la chaîne d'approvisionnement mondiale, Zahnd était responsable de toute la filière de création de valeur, des fournisseurs en matières premières jusqu'au client, comme l'a écrit le magazine Bilanz. Par la suite, il a occupé le poste de directeur européen et de représentant d’Elon Musk.
Mais fin 2020, le Suisse a quitté le navire. Non pas en raison d'une brouille avec Musk, comme il l'a déclaré à Bilanz, mais par égard pour sa famille. «Quatre ans et demi sans vacances ni week-end, ça suffit», a déclaré le manager, qui était revenu en Suisse avec sa famille en 2019 pour que ses filles puissent y être scolarisées.
Cela nous amène au point essentiel: qui serait à même de remplacer Elon Musk en tant que CEO de Tesla?
Musk ne s’en ira probablement pas de sitôt, a estimé CNN 2021 dans une analyse. Mais il est évident que le multimilliardaire a bien d'autres intérêts que les voitures électriques. Il est notamment à la tête de SpaceX, une autre entreprise de haut niveau. Et puis il y a la start-up neuroscientifique Neuralink, qui travaille sur un implant cérébral qui pourra peut-être bientôt commander des ordinateurs et pallier des lésions nerveuses.
Dans ce contexte, les analystes et les gestionnaires de fonds espèrent qu’Elon Musk présentera le plan de succession pour sa «progéniture» le plus réussi à ce jour. Car une entreprise de mille milliards de dollars comme Tesla ne peut pas s’arrêter avec son créateur.
Apple continue d'engranger des bénéfices avec l'iPhone et d'autres appareils haut de gamme et dispose d'énormes réserves de liquidités de plusieurs centaines de milliards. Ainsi, même les plus grandes turbulences économiques ne menacent pas son existence.
Je l'ai mentionné, Tesla a copié la recette du succès d'Apple en matière d'intégration verticale, et l'a même mieux appliquée. Comme on le sait, les deux entreprises se livrent depuis de nombreuses années à une compétition pour savoir qui sera capable d'attirer les esprits les plus brillants, et les ingénieurs et développeurs les plus talentueux.
Tout comme Steve Jobs autrefois, Elon Musk a réussi à réaliser ce qui semblait impossible avec un Reality Distortion Field et à bouleverser plusieurs secteurs en même temps.
Si l'on considère l'augmentation de la production, rien ne devrait arrêter Tesla: la start-up californienne, qui faisait autrefois l'objet de moqueries, a réussi à faire changer d'avis les managers automobiles autocratiques et les mordus de pétrole.
Avec son «Full Self-Driving» (FSD), plus communément appelé Autopilot, le pionnier de la voiture électrique mise sur une technologie basée sur une seule caméra, alors que ses concurrents intègrent du matériel et des capteurs supplémentaires. Le Manager-Magazin résume parfaitement l'évolution à ce jour:
Lors d'une conférence téléphonique mercredi dernier, Musk a déclaré que le robot humanoïde prévu par Tesla – appelé en interne «Optimus» – était le «développement de produit le plus important que nous réaliserons cette année».
Le suspense reste donc entier!
Et si, contre toute attente, l'entreprise de Musk devait se retrouver dans une situation apparemment sans issue ou échouer, Apple pourrait en profiter. L'iCar vous salue.
Traduit de l'allemand par Tanja Maeder