Lorsque l'hiver arrive, les gens aiment se blottir chez eux, dans des conditions normales. Le chauffage réchauffe l'intérieur, on se réjouit de la neige. On fait de la luge, des bonshommes de neige, on installe des lumières de Noël multicolores. Mais cette année, ce sera différent. L'Ukraine est en guerre. Et celle-ci ne s'arrêtera pas à la saison froide.
Comment l'hiver va-t-il influencer la guerre? Depuis toujours, les conditions météorologiques ont une influence sur l'économie, la situation humanitaire dans les zones de crise et même la capacité de riposte militaire. Cela affectera-t-il également la dynamique des combats dans le Donbass ou dans le sud de l'Ukraine?
On a posé ces questions à Theoraris Grigoriadis, économiste et doyen de l'Institut d'Europe de l'Est à l'Université de Berlin.
Les citoyens ressentiront davantage les problèmes financiers en hiver, et ça peut leur coûter la vie, affirme l'expert. Cela signifie par exemple que de nombreuses personnes en Ukraine n'ont pas les moyens de se chauffer ou, plus généralement, de s'approvisionner en énergie - pour autant qu'elles soient encore raccordées à une infrastructure d'approvisionnement. Là aussi, de nombreuses personnes devront alors décider: se chauffer ou manger?
«L'Ukraine doit continuer à bénéficier d'un soutien financier, tant au niveau bilatéral qu'européen», avance Theoraris Grigoriadis. «Et c'est une grande question pour l'Europe, afin d'éviter de nouvelles victimes». Concrètement, il veut dire que des personnes risquent de mourir de froid ou de faim.
Selon le chercheur, les coûts de l'aide humanitaire doivent être pris en charge de toute urgence. «On entend par là les coûts de base pour la survie et pour la dignité humaine, ce que l'Etat ukrainien ne peut certainement pas assumer seul».
En temps de guerre, la crise économique est à l'ordre du jour. A court terme, l'économiste estime que l'Europe doit se concentrer sur l'approvisionnement humanitaire, surtout dans les régions du nord et du nord-est de l'Ukraine. Là où l'hiver sera beaucoup plus rude, plus froid et plus meurtrier que dans d'autres régions. Plus on se dirige vers la Biélorussie ou la Russie, plus il fera froid.
Mais à long terme également, selon Theoraris Grigoriadis, l'Europe doit à nouveau mieux mettre en réseau l'économie de l’Ukraine:
Selon lui, la dépendance directe et indirecte de l'Ukraine vis-à-vis du système énergétique russe est encore très importante. «L'Ukraine est encore considérée comme un pays de transit pour le gaz naturel russe vers l'Europe et elle importe des produits pétroliers de Russie», explique l'expert.
La plupart des soldats qui se battent pour l'Ukraine sont originaires de zones rurales. Beaucoup d'entre eux travaillaient auparavant dans l'agriculture. Qu'il s'agisse de culture ou de distribution, l'économie agricole de l'Ukraine est sérieusement sous pression depuis le début de la guerre. Cela signifie d'une part que peu de choses ont pu être exportées, donc les recettes manquent. D'autre part, les greniers n'ont pas pu être remplis comme ils l'étaient auparavant. Autrement dit: l'hiver pourrait entraîner une crise de la faim dans le pays.
«Les mois importants dans l'agriculture vont de mars à novembre», explique Grigoriadis. «Si rien n'a été généré ici, la situation devient critique».
D'un autre côté, l'Ukraine a toutefois pu reprendre ses exportations à plein régime grâce à un accord sur les céréales négocié par la Turquie. En août, la Turquie a servi de médiateur entre la Russie, l'Ukraine et les Nations unies. Depuis lors, des tonnes de céréales - surtout du maïs - ont pu à nouveau être exportées via la mer Noire.
Depuis lundi, selon des informations ukrainiennes, sept navires sont effectivement en route vers l'Asie et l'Europe, avec une cargaison totale de 124 300 tonnes de céréales. Mais cela suffira-t-il?
Ce n'est pas encore clair, puisqu'un autre facteur pourrait énormément entraver l'approvisionnement en produits agricoles: la Russie revendique en effet les produits issus des territoires annexés par le Kremlin.
Le ministre russe de l'Agriculture, Dimitri Patrouchev, a déclaré à l'agence de presse publique TASS que la Russie s'attendait à une augmentation de la récolte de plus de cinq millions de tonnes. Patrouchev a déclaré:
Selon lui, les produits ont déjà été livrés depuis les «zones fusionnées» et les chaînes d'approvisionnement correspondantes ont été mises en place.
Vendredi, la chaîne de télévision allemande NDR a également publié son enquête sur un possible vol de céréales. Selon cette enquête, la Russie exporte de grandes quantités de céréales volées en Ukraine et les vend ensuite sur le marché mondial. Les spécialistes du droit international estiment qu'il pourrait s'agir d'un nouveau crime de guerre. Selon des documents internes russes, la Russie aurait l'intention d'exporter au moins 1,8 million de tonnes de céréales provenant d'Ukraine cette année.
En hiver, alors que l'approvisionnement en Ukraine est de toute façon déjà menacé en temps normal, cela pourrait devenir catastrophique.
Les hivers froids - avec des températures négatives à deux chiffres - font que les réseaux ferroviaires risquent de tomber en panne et que les routes soient verglacées. Les chaînes d'approvisionnement peuvent ainsi être perturbées même en dehors des périodes de guerre. Toutefois, en temps de paix, il y a toujours d'autres moyens qui peuvent être utilisés.
Il existe des itinéraires alternatifs par voie terrestre, aérienne ou fluviale. Mais il est difficile de trouver d'autres routes, surtout dans les zones de combat du Donbass. Souvent, les routes sont bloquées, soit parce que les zones sont déjà occupées, soit parce que la ligne de front passe par là, ou alors parce que les routes ont tout simplement été détruites. Le réseau ferroviaire est également touché.
Si, en plus, d'autres lignes sont coupées à cause de la saison froide, cela pourrait entraîner des pénuries humanitaires, mais aussi militaires. Les soldats pourront-ils encore être approvisionnés? Une grande question que l'expert Grigoriadis soulève également:
«Si les chaînes d'approvisionnement sont coupées, les soldats - tant russes qu'ukrainiens - risquent de ne plus être approvisionnés», explique-t-il. Il ne s'agit pas seulement de nourriture. Le ravitaillement en armes pourrait également être entravé, voire totalement interrompu.
«Et se pose alors la grande question de savoir quel camp a la meilleure logistique - et qui sera moins touché par l'hiver», estime Grigoriadis. Un mauvais approvisionnement pourrait également être décisif sur le champ de bataille. Les soldats russes vont-ils se retirer? Grigoriadis répond: