Les voyants sont au rouge un peu partout: les banques russes s’inquiètent d’une explosion des prêts non remboursés, de nombreuses entreprises ne parviennent plus à honorer leurs paiements, et même le secteur de l’armement, pourtant dopé par l’Etat, souffre de pénuries de personnel et de matières premières.
L’énergie, pilier du budget russe, commence, elle aussi, à faiblir: pétrole et gaz rapportent moins qu’avant. Mais c’est dans le domaine du charbon que la crise est déjà bien installée. Entre la chute des prix mondiaux et les sanctions occidentales, ce secteur autrefois stratégique est au bord de la rupture.
La situation est si dramatique que même des responsables politiques expérimentés semblent ne plus trouver de mots pour l’édulcorer. Bien qu’il soit peu probable que le secteur du charbon entraîne toute l’économie russe dans sa chute, Poutine doit désormais craindre des tensions internes dans le pays.
Le vice-ministre russe de l'Energie, Dmitri Islamov, a exposé la complexité de la situation à la mi-juillet en déclarant:
Début 2024, la Russie comptait encore 179 entreprises charbonnières actives. Aujourd’hui, 51 d’entre elles sont classées en «zone rouge»: fermées ou sur le point de l’être.
Face à l’urgence, le Kremlin a débloqué un plan de sauvetage de 63 milliards de roubles (environ 666 millions d’euros) mi-juillet. En bonus, certaines taxes minières et cotisations sociales pourront être repoussées jusqu’à fin novembre. Serait-ce là un pansement sur fracture?
Le Kremlin vient également en aide de manière ciblée aux entreprises situées en Sibérie: celles-ci peuvent se faire rembourser une partie des coûts liés à l’exportation du charbon vers le nord-ouest et le sud du pays. Certaines bénéficient même de subventions pour couvrir les frais logistiques des longs trajets. Ces aides régionales montrent l’ampleur du danger potentiel qu’un effondrement de l’industrie charbonnière représenterait pour Poutine.
Des pans entiers du territoire dépendent de l’extraction et de la transformation de cette ressource naturelle. A elle seule, la région de Kemerovo, dans l’ouest de la Sibérie, produit plus de la moitié du charbon russe. Selon le journal The Moscow Times, environ 30 villes vivent de l’économie charbonnière. Si ce secteur industriel venait à s’effondrer, ce serait une catastrophe économique pour de nombreuses personnes et régions.
Un peu plus de la moitié du charbon russe est consommée sur le marché intérieur, principalement pour la production d’énergie. Ainsi, en 2023, le charbon représentait près de 13% de la production d’électricité en Russie. Selon les plans du Kremlin, cela devrait rester à peu près stable jusqu’en 2050.
L’importance du charbon pour l’économie russe est indéniable. Actuellement, environ 146 000 personnes travaillent dans ce secteur. Jusqu’en 2023, l’industrie restait rentable. Mais ensuite, les pertes dues aux sanctions occidentales n’ont plus pu être compensées. En 2021 encore, la Russie vendait 22,6% de son charbon à l’Union européenne.
Depuis août 2022, un embargo sur le charbon russe est en vigueur. La Russie continue de trouver des acheteurs en Asie, mais ces derniers n’achètent plus qu’à des prix nettement réduits, peu avantageux pour Moscou.
Par ailleurs, de grands consommateurs comme la Chine et l’Inde ont fortement augmenté leur propre production ces dernières années. En parallèle, la tendance mondiale s’oriente vers les énergies renouvelables et s’éloigne des sources fossiles. Ces deux facteurs contribuent à la baisse continue des prix sur le marché mondial.
Fin 2022, une tonne de charbon coûtait encore environ 400 dollars US. Aujourd’hui, elle se vend à peine en dessous de 100 dollars. Selon le journal russe Vedomosti, la Russie ne perçoit qu’environ 69 dollars par tonne exportée. L’extraction et le transport du charbon depuis des régions reculées coûtent souvent plus cher, notamment en raison d’infrastructures défaillantes. Résultat: la Russie vend à perte.
L’économiste russe Vladimir Inozemtsev a qualifié la situation, dans un entretien avec le journal russe, «plutôt de problème social que financier». Pour lui:
D’autant que, selon les analystes, les mesures actuelles ne règlent rien sur le fond: la demande mondiale s’effondre, les infrastructures sont dépassées, et les sanctions ne vont pas disparaître de sitôt.
Ces évolutions frappent la Russie à un moment délicat. Dans l’ensemble, l’économie russe avait jusque-là bien résisté aux sanctions occidentales des dernières années. Cette stabilité reposait cependant principalement sur le secteur de l’armement. Or, le pays manque désormais de main-d'œuvre pour maintenir la croissance économique. Parallèlement, l’inflation a récemment dépassé les 10% dans certains cas.
A la mi-juillet, l’Union européenne a adopté son 18e paquet de sanctions contre la Russie, ciblant notamment les secteurs pétrolier et financier. Il faudra encore un certain temps avant qu’il ne fasse pleinement effet. Mais une chose est sûre: la situation ne devrait pas s’améliorer pour Poutine.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich