Avec son cortège de sécheresses, méga-feux et inondations dévastatrices, l'année 2022 a clairement illustré les effets néfastes du changement climatique. Les experts de l’Organisation des nations unies (ONU) tirent la sonnette d'alarme depuis des années et de plus en plus de pays se sont fixé des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Ainsi, fin 2021, 136 pays ont annoncé des engagements de zéro émission nette. L'Inde a déclaré vouloir atteindre cet objectif d'ici 2070, la Chine d'ici 2060 et la Turquie d'ici 2053, rapportent les Nations unies. De nombreuses villes et entreprises ont fait de même. L'Union européenne (UE) a également décidé d'interdire la vente des voitures thermiques dès 2035.
La Suisse n'est pas en reste. En août 2019, le Conseil fédéral s’est fixé comme objectif d’équilibrer le bilan des gaz à effet de serre d’ici 2050. Pour y parvenir, écrit le gouvernement, «il convient principalement de réduire par tous les moyens les émissions générées par les secteurs du bâtiment, des transports et de l’industrie».
Les objectifs climatiques sont donc ambitieux, du moins sur le papier. Pour y parvenir, un seul chemin semble possible: remplacer les énergies fossiles et polluantes par des énergies renouvelables. Au cours des prochaines décennies, les sources d'énergie verte vont connaître une croissance spectaculaire, remarque le magazine Transitions & énergies. Problème: cette accélération de la production va nécessiter une quantité considérable de matières premières dont la disponibilité est, aujourd'hui, loin d'être assurée.
«On peut dire qu'il y a 15 à 20 matériaux qui sont généralement considérés comme essentiels pour la transition énergétique», confirme Evelina Trutnevyte, professeure en charge du groupe Systèmes d’énergies renouvelables (RES) à l’Université de Genève (Unige).
Et l'augmentation sera massive, poursuit la chercheuse. «Pour la transition énergétique, la demande de lithium sera par exemple multipliée par plus de dix par rapport à aujourd'hui, celle de cobalt par plus de six», explique-t-elle.
L'offre sera-t-elle en mesure de satisfaire la demande? C'est le cœur du problème, car, pointe Evelina Trutnevyte, «on ne sait pas encore avec précision combien de ressources se trouvent dans les sols et de combien la transition énergétique aura besoin». Les risques potentiels sont évidents: pénurie et explosion des prix. Début 2022, le lithium a par exemple vu son prix multiplié par cinq en un an.
Cette situation ne concerne pas uniquement les substances rares. D'autres ressources plus «courantes» seront également très sollicitées à l'avenir. Le cuivre en est un exemple. Métal essentiel pour la transition énergétique, ce dernier se retrouve partout, des batteries aux voitures électriques, en passant par les éoliennes. Selon des chiffres avancés par Bloomberg, la demande devrait croître de plus de 50% entre 2022 et 2040.
Plusieurs experts ont d'ores et déjà brandi le spectre de la pénurie. Une récente étude du cabinet de conseil Wood Mackenzie montre par exemple que pour atteindre les objectifs zéro carbone d’ici 2050, l’industrie du cuivre doit totalement changer de dimension. Près de dix millions de tonnes de ce métal seront nécessaires au cours des dix prochaines années, ce qui représente près d’un tiers de la consommation actuelle.
L'expansion de l'extraction minière est la première étape pour éviter des problèmes d'approvisionnement à l'avenir, confirme Evelina Trutnevyte. Une situation qui concerne plusieurs matériaux critiques, mais qui n'est pas sans inconvénient: «Bâtir ou agrandir des mines soulève d'importants problèmes d'ordre géopolitique», souligne-t-elle.
Ce qui est actuellement déjà le cas avec le gaz ou le pétrole, concentrés dans un nombre limité de pays, risque de se reproduire avec les autres substances, poursuit la chercheuse: «64% du cobalt connu dans le monde est concentré en République démocratique du Congo. Plus de la moitié des ressources en indium et vanadium se trouvent en Chine».
«Le cas du Congo est emblématique, car il soulève plusieurs questions telles que la stabilité politique du pays, le respect des droits de l'homme et la protection de l'environnement», détaille la professeure.
L'ouverture des mines ne concerne pourtant pas uniquement des pays éloignés, une partie de ces matériaux étant également disponibles en Europe. «L'ouverture de nouvelles mines en Europe n'est, pour le moment, pas acceptable politiquement ou publiquement», explique Evelina Trutnevyte. «Mais, à un moment donné, il faudra se poser la question s'il est préférable d'exploiter nos propres ressources plutôt que de dépendre d'autres pays».
A l'heure actuelle, le développement de l'industrie minière soulève en somme plus d'une difficulté, en considérant aussi qu'obtenir les permis de construire pour une nouvelle mine prend beaucoup de temps. «Si l'offre de mines peine à répondre à la demande future, le recyclage pourrait constituer une partie de la solution», affirme l'étude de Wood Mackenzie. Pour la directrice du groupe RES également, «la question du recyclage est centrale».
Pour de nombreuses ressources critiques, le recyclage est déjà une réalité: «On peut actuellement recycler jusqu'à la moitié du cuivre et de l'aluminium disponibles, par exemple», illustre Evelina Trutnevyte. Pour d'autres substances, par contre, il y a encore du travail. «En principe, le lithium et le cobalt peuvent être recyclés, mais ce n'est pas vraiment encore possible à grande échelle.»
Il n'est toutefois pas (encore) nécessaire de (trop) s'inquiéter, car cela dépendra beaucoup de la façon dont se déroulera la transition énergétique, souligne la chercheuse: «Au fur et à mesure de la transition, il y aura de plus en plus de solutions disponibles», affirme-t-elle.
Chez Swissolar, on partage ce point de vue: «Plus la demande est importante et plus la quantité de matériaux déjà utilisés est grande, plus les procédés de recyclage s'améliorent», indique Yannick Sauter, coordinateur romand de l'association des professionnels de l’énergie solaire.
Pour cette raison, Swissolar dit ne pas s'inquiéter de l'accès aux matières premières à l'avenir. «Au niveau du photovoltaïque, le marché montre au contraire que les prix sont déjà en train de se stabiliser et que des diminutions sont à prévoir», conclut Yannick Sauter.
Les représentant de l'industrie automobile tiennent des propos similaires. «Le secteur met l'accent sur le recyclage. Ainsi, nettement plus de 90% des matières premières d'une batterie usagée doivent être recyclées et réutilisées dans la production de nouvelles batteries», déclare Christoph Wolnik, d'auto-suisse.
Evelina Trutnevyte avance une troisième piste pour limiter les dangers liés à la demande croissante des matières premières: «Il est possible de réduire la pression sur un certain matériel, en s'appuyant sur différents types de technologie», explique-t-elle. «Imaginons une stratégie qui associe par exemple l'énergie solaire, éolienne, hydroélectrique et le stockage: la bonne combinaison permet de minimiser toute dépendance trop importante.»
Sans oublier que, pour chaque nouvelle technologie, il existe différentes options. La chercheuse explique: «Les batteries lithium-ion devraient connaître une forte croissance, mais d'autres solutions sont également développées, comme les batteries lithium-ion à l'état solide ou les batteries zinc-air. Elles nécessitent une moindre quantité de lithium».
A la lumière de tout cela, Evelina Trutnevyte se veut optimiste. Les (nombreux) problèmes liés aux matières premières ne risquent pas de compromettre la transition énergétique, assure-t-elle.
«Le niveau de préoccupation entre ces deux problèmes n'est absolument pas comparable», conclut-elle.« Je ne vois pas des risques à court terme, nous n'avons pas à nous inquiéter. Mais nous devons faire nos devoirs et nous tenir prêts.»