«L'histoire nous attend, saisissons ensemble cette opportunité de laisser notre empreinte.» La rhétorique du président d'UBS Colm Kelleher laisse transparaître des qualités d'homme politique. A l'occasion de l'officialisation du rachat de Credit Suisse (CS) lundi 12 juin, l'Irlandais a employé de grands mots tout en les mettant en scène dans un message vidéo de deux minutes sur le site Internet de la banque.
«La plus grande fusion bancaire de l'histoire» et la première fusion de deux banques d'importance systémique mondiale sont, selon le jugement de Kelleher, «historiques» non seulement pour la nouvelle UBS, mais aussi pour toute la Suisse ainsi que l'industrie financière mondiale.
L'ancien vice-président de Morgan Stanley et vétéran de Wall Street a cette fois-ci complètement omis les déclarations faites précédemment sur les risques de la grande reprise. Il s'est contenté de parler des «énormes opportunités» qu'il avait en tête pour UBS et la place financière suisse.
Il faut dire que les quelque 124 000 collaborateurs actuels de la nouvelle super-banque ont besoin d'être motivés, tout comme la population suisse, laquelle supportera la majeure partie des coûts potentiellement très élevés de l'intégration.
Il est question de supprimer jusqu'à 40 000 postes, dont un quart rien qu'en Suisse. «Une lettre ouverte d'UBS», reproduite dans des annonces pleine page dans plusieurs journaux en Suisse et à l'étranger, appuie le message du «début d'un nouveau chapitre historique», dont le premier officier de Kellehers, le CEO Sergio Ermotti, n'a «aucun doute» quant à son issue réussie.
Le fait que la nouvelle super-banque n'ait pas voulu mettre en avant, le jour 1 de son histoire, les «défis» de la méga-fusion paraît logique en termes de communication. Il n'en reste pas moins que les deux protagonistes, dans leurs apparitions quasi euphoriques, donnent l'image d'une banque à laquelle il ne pouvait rien arriver de mieux que l'échec rapide de CS.
En effet, depuis le 19 mars, date à laquelle le rachat de Credit Suisse par UBS est devenu une réalité, le gouvernement et l'Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) en Suisse soulignent que toutes les autres options pour éviter la faillite n'étaient qu'un second choix.
Ainsi, la Finma estime qu'un «assainissement» de CS aurait pu déclencher une crise financière mondiale. Par assainissement, les surveillants entendent tout d'abord l'assainissement du capital par une radiation complète, ordonnée par les autorités, de la catégorie d'obligations la plus risquée (spécialement créée pour de tels cas) (AT1), la conversion immédiate d'une autre catégorie spéciale d'obligations en actions («bail-in») et bien sûr la radiation complète du capital-actions existant.
Cet assainissement, qui aurait également entraîné, sur ordre de la Finma, la liquidation rapide ou la mise en liquidation des parties du Credit Suisse qui ne sont pas d'importance systémique, aurait généré un potentiel de dommages directs de l'ordre de 70 milliards de francs pour les acteurs des marchés financiers.
De l'avis de la Finma, l'assainissement aurait pu aggraver encore l'instabilité des marchés financiers en raison de son effet violent sur ces derniers. En outre, même si l'opération avait réussi, le Credit Suisse serait resté le Credit Suisse. La question de savoir si sa direction, qui ne jouissait plus de la confiance des marchés financiers, aurait pu sortir l'établissement de la tourmente reste ouverte.
Ce que l'on sait, c'est qu'UBS a commencé à envisager le scénario d'une reprise de Credit Suisse dès le mois d'octobre 2022. Un document déposé en mai 2023 par UBS auprès de l'autorité américaine de surveillance des marchés financiers (SEC) le montre clairement.
«Size matters in banking» — «En banque, la taille compte», a déclaré Colm Kelleher lundi pour justifier son optimisme. De son côté, Ermotti a assuré fin mars 2023, à l'occasion de son retour en tant que CEO, qu'UBS n'était pas «trop grande», mais plutôt «trop petite pour pouvoir survivre». Reste à savoir si la Suisse voudra vraiment soutenir les plans des deux protagonistes d'UBS.
Dans leur vie quotidienne, les Suisses ne se rendront pas compte de ce «jour historique» pour le secteur bancaire. Le Credit Suisse va continuer à opérer sous son propre nom et avec son logo. Mais depuis lundi, l'action Credit Suisse appartient définitivement au passé. Elle quitte le marché à 80 centimes, alors qu'elle valait encore 95 francs il y a 25 ans.
Traduit et adapté par Noëline Flippe