Circulez, y a rien à boire. Dommage pour les 40% de Valaisans francophones et les 47% de Tessinois qui ont voté «oui» à la vente d'alcool à la Migros au sein de leurs coopératives. Ouf de soulagement pour les autres, notamment les 80,3% de coopérateurs haut-valaisans et les 76,3% de Suisses orientaux à avoir rejeté cette proposition. La Migros continuera de ne pas vendre d'alcool en Suisse. Aucune coopérative ne s'est prononcée pour le changement voulu par la direction.
L'économiste Stéphane Garelli se dit étonné de l'issue du vote. «Cette décision maintient une situation ambiguë: Migros est propriétaire d’autres marques qui vendent de l’alcool, comme Denner et Migrolino», relève le professeur à HEC Lausanne et à l'Institute for management development (IMD). «Les gens ont donc sans doute voulu séparer la Migros traditionnelle de ses succursales qui vendent de l'alcool et qui doivent tracer leur propre route.»
Quoi qu'il en soit, comment comprendre ce plébiscite pour le maintien du statu quo entre Migros l'abstinent et Denner le pourvoyeur? Alors qu'on peut acheter de l'alcool partout, dans la rue comme sur le Web – y compris sur Migros online (anciennement «Le Shop»)? Selon Stéphane Garelli, il y a une forte dimension identitaire dans la marque Migros, qui fait partie de notre environnement immédiat, au même titre que la Coop:
Ce phénomène serait même accentué par les circonstances, d'après l'économiste. «La guerre en Ukraine et l’inflation ont des conséquences sur nos produits alimentaires, la Suisse réfléchit à sa neutralité, les tensions internationales sont vives... Le monde tel qu'on l'a connu est en plein bouleversement. Par effet de contraste, les gens veulent se rattacher à des choses qui ne changent pas.» Et le professeur de prendre cette image:
Bref, les gens ont besoin de points de repère. «C'est d'ailleurs le cas dans toutes les entreprises», note l'observateur. En l'occurrence, l'absence de bières, vins, cidres et autres spiritueux dans les rayons du magasin est une valeur-repère de Migros, qui témoigne des objectifs de santé publique de son fondateur Gottlieb Duttweiler dans les années 1920-1930, qui souhaitait lutter contre l'alcoolisme, alors important en Suisse, notamment chez les ouvriers. «Nos valeurs ont de la valeur», comme le résume un des slogans publicitaires du géant orange.
A cet égard, Migros est un ovni dans le paysage des supermarchés. Et elle a quelque chose de très helvétique. Le niveau national propose une mesure pour que l'entité s'adapte à l'époque et reste ainsi attractive, le peuple est consulté dans les cantons, résultat, l'objet est massivement rejeté. Ça ne vous fait pas penser à la politique fédérale? Le tout, par attachement à une identité, une histoire, un ADN. Et tant pis pour le gros pactole – pour le coup, est-ce bien suisse?
A travers ce vote on ne peut plus clair, l'entreprise se distingue de la concurrence. «Elle se rattache à une ligne historique», précise Stéphane Garelli, «ce qui est un argument marketing comme un autre». Qu'on retrouvera dans les chiffres? «Je ne pense pas que cet événement aura un énorme impact sur la profitabilité de Migros», estime le professeur. «L'entreprise réalise déjà de bons chiffres et en réalisera encore.»
Mais pour pouvoir garder son haut rang dans le secteur du commerce de détail (actuellement deuxième, après la Coop), la Migros devra continuer de tabler sur un élément clef de sa stratégie, selon l'expert: la séparation en plusieurs marques, justement. «Même à l’intérieur de l’enseigne Migros, vous avez la marque Budget ou la marque Classic», observe Stéphane Garelli. On se réjouit de la bière sans alcool Sélection.