Les quantités sont impressionnantes. Chaque jour, les employés de Lindt & Sprüngli, à Olten, déchargent plusieurs wagons de 50 tonnes de fèves de cacao. Le groupe chocolatier transforme ensuite cette matière première dans son «Cocoa Center» soleurois, récemment agrandi pour 100 millions de francs.
Le chocolat produit ici est le résultat d'un processus désormais fortement automatisé. Les fèves en provenance du Pérou, de l'Equateur, du Ghana et de la République dominicaine sont cassées, torréfiées et moulues sur place. Ainsi sortent chaque jour de l'usine la base qui permettra de créer jusqu'à 4000 tonnes de chocolat – ou 320 millions de boules Lindor.
Le fait que le groupe chocolatier ait décidé de doubler sa capacité de production à Olten réjouit Marco Peter. Celui-ci est le chef des activités suisses et a réussi à convaincre le conseil d'administration de l'intérêt du site d'Olten. Malgré ce succès, il adopte un ton songeur lors de l'entretien en marge de la visite de l'usine. Les quantités considérables de fèves de cacao achetées par Lindt coûtent en effet très cher.
Récemment, le prix du cacao a éclaté record après record. Une tonne a pu coûter plus de 11 000 francs. Ces dernières semaines, le prix a certes quelque peu baissé, mais les besoins en capitaux des producteurs restent immenses. Chaque wagon de fèves de cacao qui arrive à Olten représente une valeur de plus de 400 000 francs sur le marché.
Derrière l'explosion des prix se cache «une tempête parfaite», comme le disent les observateurs du marché – et pas seulement au sens figuré. En effet, la crise du cacao a été déclenchée par le phénomène météorologique El Niño. L'été dernier, celui-ci a provoqué de fortes pluies dans les principaux pays producteurs d'Afrique de l'Ouest et d'Amérique du Sud. Ces précipitations importantes et la sécheresse qui s'en est suivie ont favorisé la propagation de maladies. Les agriculteurs n'ont pas pu faire grand-chose face à la force de la nature. Ils n'ont guère d'argent à investir dans des produits phytosanitaires et des engrais.
Ajoutons à cela que de nombreux agriculteurs d'Afrique de l'Ouest sont en train de se retirer du commerce du cacao. Ils espèrent, en effet, obtenir un meilleur salaire ailleurs, comme dans l'exploitation illégale d'or. Ils vendent donc leurs terres. C'est l'une des pièces qui complète le puzzle de cette «tempête parfaite». Tous ces éléments réunis font que les récoltes sont actuellement massivement inférieures – ce qui fait grimper les prix à des niveaux sans précédent.
«La hausse des prix est dramatique et nous préoccupe beaucoup», déclare Marco Peter. On essaie d'y remédier en réduisant les coûts de production, mais cela n'est possible que de manière limitée. Marco Peter s'attend donc à ce que le chocolat Lindt coûte «plus de 10% plus cher» cette année en Suisse. Il ne veut pas donner de chiffre concret. Les clients ressentiront nettement cette mesure dans leur porte-monnaie. L'année dernière déjà, Lindt a augmenté ses prix de 10% dans le monde entier.
Tout porte à croire que les prix resteront élevés. En effet, l'offre de cacao dans les pays producteurs ne peut pas être augmentée à court terme. Un cacaoyer nouvellement planté a besoin de trois à cinq ans avant de donner des fruits. Pour compliquer les choses, les récoltes sont déjà maigres depuis trois ans; les stocks sont donc vides. Parallèlement, le changement climatique progresse et les agriculteurs d'Afrique de l'Ouest n'ont guère les moyens d'adapter leur mode de culture.
Face à cette crise du cacao, le chocolat redeviendra-t-il le produit de luxe qu'il a été pendant des siècles? Pour Marco Peter, la quantité de chocolat vendue doit effectivement d'abord diminuer pour que le prix du cacao se stabilise à un niveau plus bas et plus supportable. Mais à long terme, ce n'est pas une évolution souhaitable pour le secteur, comme il l'explique. En effet, l'industrie veut se développer et servir la classe moyenne croissante dans les pays émergents.
Il existe bien sûr une autre perspective: celle des cultivateurs de cacao. Dans les principaux pays producteurs d'Afrique de l'Ouest, les paysans ne profitent qu'avec un certain retard de la demande extrême de leur matière première sur le marché mondial. Au Ghana, par exemple, le gouvernement ne fixe les indemnités qu'une fois par an, avant la récolte principale d'octobre.
Les choses vont un peu plus vite pour les agriculteurs de Côte d'Ivoire. Le pays corrige le prix deux fois par an. En avril, il a augmenté le prix dit «à la ferme» de 50%, à 2,47 dollars le kilo. Le revenu des paysans se rapproche ainsi plus d'un montant qui leur permet de vivre. A titre de comparaison, l'année dernière, le prix «Living Income» calculé par Max Havelaar en Côte d'Ivoire était de 2,39 dollars par kilo. Ce seuil couvre l'ensemble des coûts de la vie, de la nourriture au logement en passant par l'éducation et les frais de fonctionnement de la ferme.
Grâce à l'ajustement des prix par le gouvernement, les cultivateurs de cacao ivoiriens qui ne produisent pas selon les standards du commerce équitable obtiennent actuellement un meilleur prix. Mais il y a un hic: en raison du changement climatique, les récoltes sont massivement inférieures. L'année dernière, les cultivateurs ont récolté en moyenne 30% de fèves en moins par hectare.
En fonction des rendements et de la politique des prix du gouvernement, les pertes auront pour conséquence, cette année encore, que de nombreux paysans d'Afrique de l'Ouest gagneront moins que les années précédentes. Pour eux, le commerce du chocolat a un goût amer. Malgré les prix record du cacao, ils ne reçoivent pas assez d'argent pour vivre de leurs fèves.
Pour Yanick Lhommel, expert en cacao chez Max Havelaar, il est clair qu'«il faut redoubler d'efforts pour rémunérer les cultivateurs de cacao avec des salaires de subsistance». Il lance à cet égard un appel à l'industrie. «En Afrique de l'Ouest, c'est le gouvernement qui fixe les prix. Néanmoins, les acheteurs peuvent à tout moment effectuer des paiements supplémentaires. Ils n'ont pas les mains liées.»
Traduit et adapté par Tanja Maeder