Le procès Swissair s'est terminé, en 2010, par une humiliation pour le Ministère public. Les 19 accusés avaient été acquittés et avaient même reçu un dédommagement. Ce n'était pas une surprise, car aucune énergie criminelle n'était en jeu dans le naufrage du symbole national volant. Il y avait plutôt un mélange d'autoritarisme et d'exigences excessives.
Le verdict du plus grand procès économique suisse depuis la faillite de Swissair est désormais connu. Et cette fois, la surprise a été de taille: le tribunal de district de Zurich a condamné l'ancien chef de Raiffeisen, Pierin Vincenz, à trois ans et neuf mois de prison. Son compagnon d'armes Beat Stocker a, quant à lui, écopé de quatre ans.
Il ne s'agissait pas seulement d'une «condamnation alibi» visant à épargner à l'Etat une indemnisation pour chacune des 106 journées de détention provisoire. Le tribunal de district, composé de trois membres, a suivi l'argumentation du ministère public sur la plupart des points. Quelques acquittements ont été prononcés, ce qui explique que les peines soient moins lourdes que les six ans de prison requis pour chacun.
Les représentants des médias présents au «Volkshaus» ont néanmoins été étonnés par la sévérité de la peine. En effet, le seul cas où l'on pouvait s'attendre à une condamnation était l'utilisation généreuse de la carte de crédit de l'entreprise par Vincenz pour ses escapades privées. Ses visites dans des clubs de strip-tease et des cabarets n'étaient «pas dans l'intérêt de Raiffeisen», a déclaré le tribunal.
Les quatre acquisitions d'entreprises dans lesquelles Vincenz et Stocker auraient gagné de l'argent grâce à des participations secrètes ont été plus controversées. L'accusation s'est appuyée, en premier, lieu sur une montagne d'indices que les avocats de la défense ont parfois décortiquée avec délectation dans leurs plaidoiries. Même les spécialistes ont douté de la qualité de l'acte d'accusation.
Le tribunal a, cependant, suivi en grande partie cette accusation, ce dont le procureur en chef Marc Jean-Richard-dit-Bressel a pris acte avec satisfaction après l'annonce du jugement. Le juge Sebastian Aeppli s'est efforcé d'évaluer les quatre transactions de manière différenciée.
Au-delà du cas concret, le jugement de Raiffeisen a une forte valeur symbolique. On peut l'interpréter comme un signal contre la mentalité d'arnaqueur qui s'est également emparée de l'univers prétendument sage et solide des petites et moyennes entreprises (PME). Car au final, c'est dans cette sphère que se sont déroulés les agissements.
Cette action contribue à son tour à la perte de confiance dans l'économie suisse. «Le signal envoyé aux dirigeants économiques qui font des affaires dans la zone grise et ne les révèlent pas à leurs employeurs est en tout cas dissuasif», peut-on lire dans la NZZ.
Dans le cas de Pierin Vincenz, une composante personnelle vient s'ajouter: le jovial Grison aimait se mettre en scène comme un «banquier populaire» qui avait les pieds sur terre, tout en cultivant le style de vie de «la Goldküste zurichoise». Même si les procédures juridiques portent en premier lieu sur des paragraphes et des précédents, il ne faut jamais sous-estimer de tels aspects psychologiques.
Vincenz a quitté le tribunal sans faire de commentaire. Son avocat Lorenz Erni a annoncé qu'il porterait la procédure devant la Cour suprême. Si le jugement est confirmé par toutes les instances, l'ancienne coqueluche des médias people devra définitivement aller en prison et cela même après déduction de la détention provisoire. Il s'agirait d'une chute profonde et, selon le tribunal, d'une chute dont il serait lui-même responsable.