La Protection suisse des animaux (PSA) a chargé l'économiste Mathias Binswanger d'examiner à la loupe le marché de la viande dans notre pays. Le professeur de la Haute Ecole spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse devait fournir des explications sur les raisons pour lesquelles la part de viande labellisée (IP Suisse, Naturafarm) et bio vendue stagne à 12% des animaux abattus. Les résultats ont de quoi surprendre et ils ne plaident pas en faveur des grands distributeurs Migros et Coop.
Côté producteurs, les éleveurs sont peu incités à proposer leur viande en qualité labellisée ou bio. «Les prix des animaux élevés selon les directives des labels de bien-être animal ou les directives bio ne sont que légèrement plus élevés que les prix des animaux élevés de manière conventionnelle», indique l'étude. Ainsi, en juin 2022, les agriculteurs gagnaient 10,40 francs par kilo de viande de bœuf (poids à l'abattage). Lorsque les bovins étaient élevés selon les directives bio, les producteurs ne recevaient que 20 centimes de plus.
La part de la valeur ajoutée revenant à l'agriculteur est donc faible. Dans le cas d'une tranche d'agneau bio, par exemple, 23 centimes par franc dépensé sont reversés à l'éleveur, soit moins que les 30 centimes pour une tranche d'agneau conventionnelle. Une déception pour les acheteurs qui ne se soucient pas uniquement du bien-être des animaux, mais aussi du porte-monnaie de l'agriculteur bio.
Parallèlement, les clients qui achètent de la viande labellisée ou bio paient nettement plus cher en magasin pour l'élevage plus respectueux des animaux. Mathias Binswanger cite un exemple:
Ce supplément de prix considérable pour les produits bio n'est à la portée que d'un petit segment de la clientèle: une raison de plus expliquant la stagnation des ventes de viande respectueuse des animaux.
Comment se fait-il que le producteur de viande bio n'encaisse qu'un maigre bénéfice, par rapport à la marchandise traditionnelle, quand, dans le commerce, cette même viande bio est vendue jusqu'à trois fois plus cher que l'offre de viande conventionnelle? Réponse: selon l'étude, le commerce empoche une marge «nettement supérieure» sur les produits labellisés et bio. «Chez les grands distributeurs, cette inégalité a tendance à être encore plus marquée que chez les discounters», relève cette étude.
L'économiste Mathias Binswanger explique que cette situation est due au «pouvoir de marché» de Coop, Migros&cie. «De nombreux petits fournisseurs (les éleveurs indépendants) rencontrent quelques grands demandeurs (surtout les grands distributeurs)». Dans de telles conditions de marché, le prix à la production a tendance à être tiré vers le bas, car les demandeurs peuvent déterminer le prix. Mathias Binswanger ajoute:
En revanche, il y a de grandes différences dans les prix à la consommation lorsque l'on compare les produits standard avec les produits labellisés et bio.
Il en va autrement pour la viande labellisée et bio: «On s'adresse ici à un plus petit nombre de clients qui sont généralement aussi plus disposés à dépenser plus. En conséquence, il est possible d'imposer des prix nettement plus élevés pour ces produits que pour les produits standard.»
Mathias Binswanger en déduit la requête suivante: «Si l'on veut continuer à promouvoir le bien-être et l'élevage des animaux selon les directives de l'agriculture biologique et des labels, il est premièrement nécessaire de mieux payés les agriculteurs pour ce service. Et deuxièmement, il faut réduire l'écart entre les prix à la consommation des produits conventionnels et ceux de la marchandise labellisée et bio.»
Cela voudrait dire que les grands distributeurs devraient renoncer à une partie de leur marge bio, des plus généreuses. La Protection suisse des animaux constate:
«Les marchés de la viande bio et labellisée sont sous-régulés: les forces du marché ne suffisent manifestement pas à assurer aux animaux une vie conforme à leurs besoins.»
Migros rejette avec véhémence la critique selon laquelle elle ne paierait pas un prix équitable aux producteurs tout en abusant de la clientèle écologiste ayant les moyens de payer. Le porte-parole de Migros, Marcel Schlatter, déclare:
En pourcentage, les marges des produits bio Migros seraient même légèrement inférieures à celles des produits conventionnels. «Les marges bénéficiaires du commerce de détail, et donc aussi de Migros, sont extrêmement minces», assure-t-il.
Il n'est pas vrai que Migros réalise une marge plus élevée avec les produits labellisés qu'avec les produits conventionnels, affirme le porte-parole du géant orange:
Il ne serait donc pas possible de s'offrir arbitrairement une marge plus élevée avec des produits labellisés. «Nous ne serions tout simplement plus compétitifs», ajoute Marcel Schlatter.
En baissant les prix, notamment dans le secteur IP-Suisse et Bio, Migros encourage de manière ciblée la vente de produits issus du bien-être animal. «Notre objectif est de rendre le bio abordable pour tous», reprend le porte-parole. Au cours des dernières années, le nombre de produits labellisés a nettement augmenté et continuera de le faire.
Migros explique les prix plus élevés du bio par différents facteurs:
Le grand distributeur souligne par ailleurs qu'il soutient «plus que la moyenne» les producteurs de viande labellisée: «Ainsi, malgré une consommation de viande en baisse, nous achetons depuis des années à IP-Suisse à peu près la même quantité de viande de bœuf et de porc et payons le même supplément aux paysannes et paysans.»
Interrogée à ce sujet, Coop écrit que les fournisseurs reçoivent un prix «équitable et conforme au marché». Selon cet autre géant de la distribution, les valeurs calculées dans l'étude sont en partie incorrectes.
Coop indique par ailleurs proposer de nombreuses actions sur la viande labellisée. Les marges qu'elle empoche sont-elles trop grosses? «Coop ne gagne pas plus sur les produits labellisés que sur les produits conventionnels. Au total, en tant que coopérative, Coop réalise un bénéfice de 1,8 centime par franc de chiffre d'affaires, ce qui est faible par rapport aux entreprises à but lucratif.»