Malgré la vente de leur entreprise il y a 25 ans au géant britannique Unilever, Ben Cohen et Jerry Greenfield restent les visages emblématiques de leur marque de glace. A l’usine de Waterbury, dans le Vermont, ouverte en 1985, les touristes sont toujours accueillis par leurs portraits iconiques.
Durant notre visite guidée de l’usine, une jeune employée raconte avec enthousiasme comment les deux amis d’enfance ont commencé à fabriquer leur célèbre crème glacée ultra-crémeuse dans une ancienne station-service de Burlington, dans les années 1970. Autodidactes, ces hippies tardifs ont appris leur métier sur le tas. Mais aujourd’hui, ajoute-t-elle, Ben et Jerry se sont presque totalement retirés des affaires.
Selon certaines rumeurs, cela pourrait bientôt changer. Cohen et Greenfield, aujourd’hui septuagénaires, auraient manifesté leur intérêt pour racheter leur entreprise. Unilever a toutefois démenti ces informations relayées par Bloomberg, affirmant:
Mais le contexte actuel pourrait favoriser un divorce. D’abord, Unilever est en pleine transformation, avec un changement récent à la tête du groupe, qui détient également des marques comme Persil, Dove, Knorr et Vaseline. Ensuite, d’ici la fin de l’année, Unilever prévoit de scinder sa division glace en une entreprise distincte, destinée à entrer en bourse à Amsterdam.
Surtout, la relation entre Ben & Jerry’s et le siège d’Unilever à Londres semble irréparable. L’an dernier, Ben & Jerry’s a même intenté une action en justice contre Unilever devant un tribunal fédéral de New York, accusant le conglomérat d’avoir violé l’accord de rachat conclu en 2000.
Cet accord était unique en son genre. Bien que rachetée par Unilever, Ben & Jerry’s conservait une certaine autonomie et pouvait continuer à soutenir des causes progressistes, comme l’avaient toujours fait ses fondateurs. Une partie de ses bénéfices – 7,5% avant impôts, soit 5,2 millions de dollars en 2022 – est reversée à une fondation engagée dans des causes sociales et environnementales. Un conseil d’administration indépendant veille à ce que cette mission soit respectée.
Or, ce conseil accuse aujourd’hui Unilever d’avoir franchi des limites. Il affirme que la multinationale l’a empêché d’apporter un soutien, tant moral que financier, aux Palestiniens de Gaza. La direction d’Unilever aurait imposé une position de «neutralité» sur le conflit au Proche-Orient, ce qui a été perçu comme une censure et une violation de l’accord d’acquisition.
Au-delà de cet aspect politique, les administrateurs reprochent à Unilever de nuire à l’intégrité de la marque Ben & Jerry’s et de remettre en question sa «mission sociale». Un sujet qui a déjà fait l’objet d’un livre en 2013, Ice Cream Social, où l’auteur Brad Edmondson évoque «la bataille pour l’âme de Ben & Jerry’s».
Interrogé, Edmondson n’est pas surpris par le conflit actuel:
Cette posture a souvent été source de tensions avec Unilever, notamment lorsque le conseil d’administration s’est opposé à la vente des glaces Ben & Jerry’s en Cisjordanie, jugée incompatible avec les valeurs de la marque. Face à la pression, Unilever a dû céder son activité en Israël.
Ben et Jerry vont-ils reprendre leur marque ? Edmondson reste prudent. Un tel projet nécessiterait de convaincre de nombreux investisseurs. En 2000, Unilever avait déboursé 326 millions de dollars pour racheter la marque. Aujourd’hui, sa valeur se chiffre en plusieurs milliards.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)