Faute de présenter un budget à l’équilibre, le premier ministre Michel Barnier pensait avoir ménagé les grands équilibres, entendez les injonctions contradictoires, de la gauche et de la droite. On était le 10 octobre, la France vivait comme aujourd’hui sous la pression des marchés, sommée de réduire sa dette colossale de 3000 milliards d’euros et de diminuer dans les meilleurs délais le déficit public, le chef du gouvernant prévoyant de le ramener de 6,1% cette année à 5% en 2025 et 3% en 2029.
Michel Barnier proposait un partage des sacrifices qui pouvait paraître acceptable dans un moment critique: sur les 60 milliards d’euros à trouver pour réduire le déficit budgétaire, 40 milliards proviendraient de réductions des dépenses publiques et 20 milliards de hausses d'impôts, le tout s’ajoutant aux 10 milliards d'économies décidées par le gouvernement précédent. Dans ce dispositif, les plus fortunés étaient appelés à faire un effort accru.
Au fil de semaines, la feuille de route gouvernementale s’est transformée en testament politique. La gauche et l’extrême droite représentée par le Rassemblement national (RN) menacent en effet de ne pas voter le budget qui devrait être soumis à l’Assemblée nationale aux alentours du 15 décembre. Le «non» serait alors majoritaire.
Face à ce risque, le premier ministre pourrait activer l’article 49.3, qui permet l’adoption d’un texte de loi sans vote du Parlement. Ce faisant, il s’exposerait à une motion de censure approuvée conjointement par la gauche et le RN, ce qui entraînerait la chute du gouvernement Barnier, et ce pas même après quatre mois d’existence.
On entrerait à nouveau dans une période d’instabilité politique, créée par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier, à l’initiative du président de la République, Emmanuel Macron.
La censure, autrement dit la chute du gouvernement Barnier, n’effraie pas tant que cela les Français, qui sont 53% à s’y dire favorables, selon un sondage publié le 23 novembre. Plutôt l’instabilité que l’injustice fiscale, comprend-on. Par injustice fiscale, il faut entendre l'ensemble des déçus du projet de budget. Gauche et extrême droite font ici front commun en portant la parole de leur électorat, classes populaires et classes moyennes.
La France insoumise – dominante à gauche et qui annonce d’ores et déjà le dépôt d’une motion de censure en cas de 49.3 – exige la mise en place d’une taxe de 2% sur le patrimoine des 147 milliardaires imposés en France. Le RN, lui, s’oppose, entre autres, à l’augmentation des taxes sur l’électricité – craignant la riposte des marchés si le compte d’économies n’y est pas, le gouvernement Barnier, pour compenser des coupes dans les dépenses qui pourraient être moins profitables que prévu, cherche à «piquer» de l’argent partout où il peut en trouver, chez les particuliers comme dans les bénéfices des entreprises.
Alors, censure ou pas censure? Chute ou pas chute du gouvernement? Le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Centre de la vie politique française (Cevipof), veut bien se prêter au jeu des pronostics. La gauche étant a priori décidée à censurer le gouvernement, la participation des députés socialistes étant toutefois nécessaire au succès de la manœuvre, la question vaut surtout pour le Rassemblement national.
Que pourrait lâcher Michel Barnier pour satisfaire Marine Le Pen? Bruno Cautrès dresse un aperçu des désidératas du RN:
Et si, à l'inverse, elle avait plus à perdre de la chute du gouvernement Barnier? Mardi matin 26 novembre sur Europe 1, l’éditorialiste Pascal Praud, proche des idées du RN, semblait inviter Marine Le Pen à ne pas voter la censure.
En cas de chute du gouvernement Michel Barnier, l’option d’un gouvernement de gauche l’emporterait sur celle d'un gouvernement «Barnier II», selon les observateurs, dont Bruno Cautrès fait partie.
La gauche à Matignon, siège du premier ministre, ce serait une revanche pour elle, qui revendiquait le poste au soir du second tour des législatives anticipées, le 7 juillet, au nom de sa courte majorité relative à l'Assemblée nationale, 193 sièges sur un total de 577.
Une démission d’Emmanuel Macron, suivie de l'élection d'un nouveau président et d'une nouvelle Assemblée nationale, est-elle envisageable?
Quant au budget, si celui de 2025 devait ne pas être voté, la France, entend-on, reprendrait celui qui a servi en 2024. Sans qu'on sache quelle serait la réaction des marchés financiers. L'enjeu étant que les taux d'intérêt auxquels emprunte la France sur ces mêmes marchés n'augmentent pas davantage.