Vingt-huit cuves et seulement onze de pleines. Le reste est vide. Plus rien ne viendra. Tout a été vendangé. Pour Hubert Louis, chef de production du domaine de la Cave de la Ville de Berne, à la Neuveville, dans le Jura bernois, c’est l’heure des premiers bilans. Du jamais vu. Il le pressentait. Cinquante-cinq tonnes de raisin, au lieu de 90, la vendange de l'an dernier, déjà pas très bonne. Quarante mille litres, au lieu de 100 000, le volume d’habitude escompté. Cette année, la cuverie sonne creux.
L’ensoleillement de septembre, ajouté à la bise, un saint vent autant qu’un vent sain, chasseur de pourritures, aura moins limité les pertes que sauvé, veut-on croire, la qualité de la maigre récolte, rescapée d’une météo pourrie et d'un mildiou assassin. «Le pinot noir s’en sort bien», se console Hubert Louis, 54 ans, dont plus de 30 passés au service de la Cave de la Ville de Berne.
Les degrés Oechslé, qui indiquent la quantité de sucre présent naturellement dans le raisin (plus il y en a, mieux c’est) atteignent le chiffre de 98. «Comme en année normale», sourit le chef de production. Pour le chasselas, la sonde à moût, l’instrument servant à mesurer la densité en sucre, a rendu un verdict en demi-teinte: 72 degrés Oechslé. «Il a fallu chaptaliser», autrement dit, ajouter du sucre, «pour monter à 74, 75», un taux correspondant, là aussi, à une année normale, selon Hubert Louis.
C’est son père, Jean-Pierre, qui, il y a cinquante ans, a lancé l’exploitation sous sa forme actuelle. Lui qui l’a dotée d’une trentaine de cuves en acier émaillé, chacune pouvant contenir 7000 litres. De couleur brique, hautes du sol au plafond, formant deux rangées disciplinée comme une armée chinoise, elles sont dédiées à la fermentation en cours. Ce qui en sort n’est donc pas encore du vin à proprement parler. Hubert Louis fait goûter. Le pinot noir est en plein travail. Encore tout troublé, il n’en est pas moins prometteur.
Une vingtaine de barriques en chêne, fabriquées en Bourgogne et destinées au vieillissement du vin, prévues pour un total de 2000 litres, ne rempliront pas toutes cette année leur office habituel. Certains cépages, dits des «spécialités», ont très peu rendu, voire n’ont rien donné du tout. C’est le cas du Gewurztraminer, par exemple. C'est le cas de l’ensemble des vignes plantées sur l’Ile-Saint-Pierre, à l’extrémité ouest du lac de Bienne, touchées par la grêle au printemps. Ce foudre, imposant tonneau de forme ovale, en chêne également, faute de chardonnay, se contente de chasselas. Sa fermentation paraît plus avancée que celle du pinot noir et il est déjà joyeux en bouche.
Sept employés, dont deux apprentis, forment l’effectif de ce domaine neuvevillois de vingt-quatre hectares, le plus grand de la région, propriété de la Ville de Berne. «Je n’ai pas peur pour l’emploi. Au pire, cela pourrait se jouer sur les contrats d’apprentissage, ceux en cours allant jusqu'à leur terme», confie Hubert Louis.
La crainte porte davantage sur l’offre fortement diminuée en raison du rendement très faible de la vendange 2021. «Nous disposons d’un stock d’environ 15 000-20 000 litres datant de la précédente vendange. Cela devrait nous permettre de boucher les trous», espère le chef de production. Surtout, il ne faudrait pas que la prochaine récolte, en 2022, soit une redite de la présente.
Dehors, dans le soleil matinal, les employés sont occupés à laver les outils et accessoires mis à contribution pour les vendanges qui ont pris fin le 14 octobre. Elles avaient commencé le 5. En retard d’un mois par rapport aux dernières années.
Etienne, 21 ans, est le fils d’Hubert Louis. Etudiant à la Haute Ecole de viticulture et œnologie de Changins, dans le canton de Vaud, il prend part aux travaux. Le domaine de la Cave de la Ville de Berne lui tend les bras.