On l'appelait le «millionnaire du logiciel» ou le «Bill Gates britannique». Ce genre de surnoms qui prouvent souvent que l'on a réussi quelque chose. Ce fils d'un pompier et d'une infirmière, né en Irlande en 1965, mais éduqué à deux pas de Londres, a eu une vie bien à lui et surtout bien éloignée de celle du patron de Microsoft. Une vie qui fait aujourd'hui les gros titres de la presse internationale, car son corps sans vie vient d'être identifié par les sauveteurs, quatre jours après le naufrage de son superyacht.
Michael Richard Lynch, 59 ans, a disparu à la suite du naufrage d'un voilier de luxe, lundi à l'aube, dans lequel il comptait prendre un peu de bon temps avec des copains businessmen, au large de la Sicile.
Comme lui, sa fille Hannah âgée de 18 ans, trois autres entrepreneurs de la Tech et le cuisinier de l'embarcation ont perdu la vie ce matin-là. Un naufragé reste à ce stade porté disparu. Le drame du superyacht «Bayesian», pris dans une violente trombe marine pendant un épisode tempétueux vers 5 heures du matin, a en revanche épargné quinze autres passagers qui ont été admis dans les hôpitaux les plus proches.
Parmi les survivants, la compagne de Mick Lynch. Angela Bacares, qui a eu le temps de sauter dans un canot de sauvetage au beau milieu de la tempête, est à la tête de la société de cybersécurité Darktrace, fondée par son chéri. A eux deux, ils pesaient encore 852 millions de livres sterling en 2023.
Avant de perdre la vie dans les eaux italiennes, Mike Lynch venait de traverser un long épisode judiciaire qui aurait pu «le tuer». C'est lui qui le disait au Sunday Times, le 27 juillet dernier, lorsqu'il a été acquitté des quinze chefs d'accusation de fraude qui pesaient sur ses épaules aux Etats-Unis. Au cœur de cette affaire financière, la vente de sa société Autonomy, pour 11,1 milliards de dollars à Hewlett-Packard, en 2011.
Diminué par une maladie pulmonaire et «plusieurs problèmes médicaux» qui auraient rendu sa «survie très difficile», l'entrepreneur craignait de «mourir en prison». En réalité, l'homme était en résidence surveillée à San Francisco durant près de 13 mois, après avoir été extradé en mai 2023. En gros, on l'accusait d'avoir vendu sa multinationale beaucoup trop cher, avec de «graves irrégularités comptables». Il risquait jusqu'à 25 ans de prison.
Mais quel est l'atout de cette société de logiciels pour qu'un géant de la Silicon Valley sorte ainsi son porte-monnaie? Fondée il y a plus de trente ans, Autonomy a fait son beurre grâce à l'inférence bayésienne. La quoi? Selon Wikipédia, c'est une méthode dans laquelle le théorème de Bayes est utilisé pour «mettre à jour la probabilité d'une hypothèse à mesure que davantage de preuves ou d'informations deviennent disponibles».
D'où le petit nom du luxueux voilier, le «Bayesian», appartenant à l'homme d'affaires décédé.
Mike Lynch a toujours été un serial-entrepreneur, avec des débuts qui pourraient plaire à Netflix. Avant de faire de l'oeil à la Silicon Valley, il avait fondé plusieurs start-ups, «dont une spécialisée dans les logiciels de reconnaissance faciale», mais aussi de plaques d’immatriculation et d’empreintes digitales pour la police britannique, baptisée Cambridge Neurodynamics. Il n'avait alors que 26 ans. Sa première boîte? Lynett Systems Ltd, en 2008, qu'il a bricolée avec 2000 livres en poche, négociées dans un bar.
Après des études de physique, de mathématiques et de biochimie à l'Université de Cambridge, «sa thèse de doctorat est aujourd'hui considérée comme l'un des travaux de recherche les plus lus de la bibliothèque universitaire», nous promet The Guardian.
Après qu'il eût siégé au conseil d'administration d'entités comme le Royal Botanic Gardens de Kew, la BBC ou encore la British Library, Mike Lynch a été désigné «personne la plus influente du secteur informatique au Royaume-Uni» par le magazine Computer Weekly, pile l'année de la vente de sa société Autonomy aux Américains de HP. Soit cinq ans après avoir reçu l'Ordre de l'Empire britannique pour «service rendu à l'entreprise».
Celui qui fut un temps conseiller de l'ancien premier ministre David Cameron, forcément sur des questions de nouvelles technologies et d'intelligence artificielle, a toujours trouvé le temps pour se reposer l'esprit. Les passions de ce papa de deux enfants? Le jazz, le saxophone et les trains miniatures. Sans oublier qu'il a longtemps gardé un troupeau de bovins sur son domaine de Loudham Hall, dans l'East Suffolk.
Deux mois après avoir fêté son 59e anniversaire, l'homme d'affaires britannique a perdu la vie dans un naufrage très médiatisé, qui n'a peut-être pas encore livré tous ses mystères.
En juillet dernier, le journaliste du Times qui l'interviewait en exclusivité après son acquittement avait eu alors cette sortie dramatiquement prophétique: «C'est bizarre, mais maintenant que vous avez droit à une seconde vie, la question est la suivante: que voulez-vous en faire?»