Un superyacht, c'est rarement moche. Mais disons que celui de Mike Lynch, le «Bayesian», était vraiment particulier. Dépourvu des dorures inutiles ou de chichis pompeux, dont ont coutume de s'encombrer les ultrariches. Non. Le Bayesian, c'était d'abord un bijou technologique de 56 mètres de long, tout en démesure - mais tout en élégance.
Cela fait un moment qu'il sillonnait les mers, ce superyacht aux proportions démesurées, dont la coque et la superstructure étaient toutes deux en aluminium. Un choix stratégique pour lui offrir légèreté (l'aluminium est trois fois plus léger que l'acier), l'empêcher de rouiller et faciliter d'éventuelles réparations. Si le design de ce «super-rafiot» est né dans le cerveau d'un éminent concepteur de yachts, Ron Holland, il a été bâti en Italie par le constructeur naval Perini Navi, l'un des plus réputés du monde.
C'est en 2008 et sous le nom de «Salute», («santé» en italien), que le superyacht estimé à environ 14 millions de livres prend les eaux d'assaut et rafle, au passage, plusieurs prix prestigieux.
En 2020, le Salute est réaménagé et change de nom après être passé entre les mains du magnat de la tech britannique Mike Lynch: ce sera désormais le Bayesian. Selon les sites de location en ligne, le navire est également proposé à la location. Comptez tout de même 195 000 euros (166 000 £) pour une semaine d'escapade maritime avec vos proches.
L'expérience en valait sans doute le coût. Avant de sombrer, le navire pouvait accueillir jusqu'à une douzaine d'invités, répartis dans six cabines différentes – une principale, trois doubles et deux à lits jumeaux. Dix membres d'équipage, installés dans des quartiers séparés, complétaient cette équipe.
Tout ce beau monde réparti, selon le Times, en trois sections distinctes: une zone pour l'équipage vers la proue, les cabines des invités au milieu et la cabine principale, celle du propriétaire, à l'arrière du voilier.
Quant aux intérieurs luxueux, ils sont de la patte de l'architecte Rémi Tessier, qui a également conçu des navires pour le milliardaire suisse Ernesto Bertarelli et des suites pour l'hôtel Claridge's à Londres. Objectif du designer? Un superyacht à l'atmosphère «familière, pure et naturelle», inspiré des intérieurs japonais.
Surfaces en sycomore blanchi et en teck dans les espaces communs; acier inoxydable, ébène et cuir utilisés pour les espaces privés. Avouez, ça en jette.
Toutefois, une partie de l'attrait du navire ne résidait pas seulement dans ses cabines cossues et ses salles de bains design; c'est surtout avec ses espaces extérieurs, spécialement conçus pour profiter un maximum des activités, boissons et dîners en plein air, que le Bayesian régalait ses occupants.
A l'arrière du bateau, un garage abritait également tous les jouets possibles et imaginables: jet ski, skis nautiques, wakeboards, kayaks de mer, sans oublier les indispensables donuts et banana boat. C'est dans ce même secteur que se trouvait l'annexe pour escorter les invités dans les ports et les baies isolées.
Toutefois, le Bayesian devait avant tout sa renommée à une autre particularité: son gigantesque mât en aluminium de 72 mètres, longtemps considéré comme le plus haut du monde, avant que celui du superyacht de Jeff Bezos, Koru, ne lui vole la vedette l'an dernier. Une véritable prouesse technique, selon un ancien capitaine au Times, «qui lui permet de transformer son comportement dynamique et sa stabilité en navigation et en moteur». Bref, d'aller immensément vite, avec près de 3000 mètres carrés de voile.
Cependant, comme souvent avec la folie des grandeurs et les ambitions démesurées, ce même mât qui faisait sa fierté pourrait avoir coûté extrêmement cher au Bayesian. Quelques heures seulement après que ses gestionnaires, Camper & Nicholsons, aient confirmé que le superyacht avait coulé lundi aux premières heures de l'aube, à la suite de «mauvaises conditions météorologiques», avec 22 personnes à son bord, les premières théories fusent pour expliquer la catastrophe.
Plusieurs experts et sources anonymes se succèdent dans la presse britannique pour évoquer l'idée que le poids du mât aurait pu jouer un rôle décisif dans le chavirement, en poussant la coque au-delà de son «angle d'envahissement» - le point auquel un bateau ne peut pas se redresser après avoir basculé à un angle prononcé.
Le mât «n'a pas aidé», reconnait notamment Sam Jefferson, rédacteur en chef du magazine Sailing Today, au Telegraph. «Avec ces vents extrêmement forts, la stabilité était évidemment un problème et je suppose que le bateau était coincé sur le côté et n'a pas pu se redresser avant de se remplir d'eau». Et de voir disparaître six de ses passagers.