Il y a exactement deux ans, les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan. Comment évaluez-vous la situation humanitaire actuelle?
Michael Kunz: Les gens souffrent. Depuis la prise de pouvoir des talibans, les prix des denrées alimentaires ont doublé et l'économie est en ruine. La famine règne: non pas parce que la nourriture manque, mais parce que les gens n'ont pas l'argent pour l'acheter.
Les talibans demandent une reconnaissance diplomatique, mais la plupart des Etats lient cette reconnaissance à une série de conditions, comme le respect des droits des femmes. Est-ce la bonne voie? Faut-il discuter avec les talibans?
Pour nous, il était et il est toujours important de rester en contact avec les dirigeants, d'avoir des discussions avec eux, que l'on soit d'accord ou non avec eux. Sans leurs promesses, les aides ne sont pas possibles. Pour savoir quelles sont nos possibilités, nous menons également des discussions au niveau régional par le biais de nos organisations partenaires locales. En principe, il est très important pour nous de dire clairement aux talibans où se situent les lignes rouges.
Lors de ces contacts, abordez-vous également la question de l'interdiction faite aux femmes de suivre une formation?
Oui, bien sûr. Il n'y a pas si longtemps, nous avons fait comprendre à un gouverneur de province taliban que nous refusions catégoriquement l'interdiction de l'éducation pour les femmes à partir de la septième année.
Depuis la semaine dernière, des informations circulent sur des «écoles secondaires informelles» qui seraient désormais tolérées par les talibans. Est-ce vrai?
Les talibans justifient l'interdiction de l'éducation par la charia, ce qui, à mon avis, n'est pas le cas. Il existe de nombreux pays dotés d'une législation sur la charia dans lesquels il n'existe aucune restriction en matière d'éducation. Ce qui est apparemment nouveau, c'est que les talibans ont accepté la proposition d'une organisation humanitaire scandinave d'organiser des cours en ligne à partir de la septième année de classe.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Que les talibans ne sont pas fondamentalement opposés à ce que les femmes reçoivent un enseignement à domicile, dans des salles réservées aux femmes. Nous aussi, nous envisageons d'agir dans ce domaine. Je pense que l'interdiction de l'éducation ne concerne pas la charia, c'est-à-dire le droit islamique, mais en réalité le «pachtounwali», le code juridique et le code d'honneur des Pachtounes: pour préserver l'honneur de la famille, ils n'envoient plus leurs filles à l'école à partir d'un certain âge.
Dans ce contexte, pourrait-on parler d'une lueur d'espoir dans le sombre horizon afghan?
Pour nous, il est important que les femmes obtiennent un droit fondamental et illimité à l'éducation et qu'elles n'aient pas à se cacher pour étudier en ligne.
Deux ans après la prise de pouvoir des talibans, quel est votre bilan personnel?
Nous ne devons pas perdre espoir. Malheureusement, nous ne voyons que peu d'évolutions positives dans ce pays en ce moment. Bien sûr, nous sommes heureux de pouvoir continuer à faire fonctionner nos établissements de santé. Mais l'interdiction de la formation fait en sorte qu'à l'avenir, nous n'aurons plus d'infirmières et de sages-femmes, ni de médecins formés.
Traduit et adapté par Noëline Flippe