En août 2023, le dirigeant du Groupe Wagner, Evgueni Prigojine, a perdu la vie dans un accident de son jet privé environ une heure après son décollage à Moscou. Il était un acteur clé de la Russie en Afrique depuis l'entrée en scène du groupe Wagner sur le continent en 2017, connu pour le déploiement des forces de sécurité en Afrique.
Le groupe est réputé pour le déploiement des forces paramilitaires, les campagnes de désinformation contre des dirigeants politiques influents avec un effet déstabilisateur. La mort de Prigojine survenue après sa rébellion avortée contre les commandants militaires russes deux mois plus tôt a entraîné un réajustement des activités du groupe Wagner.
Qu'est-ce que cela signifie pour l'Afrique? Les recherches d'Alessandro Arduino notamment ses travaux sur la cartographie de l'évolution des mercenaires et des sociétés militaires privées à travers l'Afrique apportent quelques réponses.
Après la mort d'Evgueni Prigojine, les ministères russes des Affaires étrangères et de la Défense ont rapidement rassuré les Etats du Moyen-Orient et d'Afrique en leur disant qu'il n'y aurait pas de changement, ce qui signifie que les troupes russes non officielles sur le terrain continueraient à opérer dans ces régions.
Des rapports récents sur le groupe Wagner suggèrent qu'une transformation est en cours. Les activités du groupe en Afrique sont désormais placées sous la supervision directe du ministère russe de la Défense. Wagner commande une force estimée à 5 000 agents déployée dans toute l'Afrique, de la Libye au Soudan. Dans le cadre de cette transformation, le ministère de la Défense l'a rebaptisé Africa Corps. Le choix du nom pourrait être une tentative de dissimuler ce qui est déjà largement connu depuis longtemps: les mercenaires russes en Afrique servent un seul maître, le Kremlin.
L'idée de transformer le groupe en Africa Corps pourrait avoir été inspirée par la Seconde Guerre mondiale et l'Afrika Korps d'Erwin Rommel. L'Allemagne nazie a créé des mythes autour de ses succès stratégiques et tactiques en Afrique du Nord.
Mais le groupe Wagner, sous sa nouvelle direction, maintiendra-t-il le mode opératoire distinctif qui l'a rendu notoirement célèbre sous le règne de Prigojine? Il s'agissait notamment d'allier les actions sur le terrain avec la propagande et la désinformation. Wagner a également tiré parti des technologies et d'un réseau de financement sophistiqué pour renforcer ses capacités de combat.
Dans mon récent livre, Money for Mayhem: Mercenaries, Private Military Companies, Drones and the Future of War, j'évoque l'habileté avec laquelle Prigojine dissémine la désinformation et l'infox. De nombreuses campagnes soigneusement orchestrées ont inondé les plateformes des réseaux sociaux en Afrique pour promouvoir l'élimination de l'influence française et occidentale dans le Sahel.
Prigojine a supervisé la création de l'Agence de recherche sur Internet, qui a fonctionné comme l'organe de propagande du groupe. Elle a soutenu les campagnes de désinformation russes et a été sanctionnée en 2018 par le gouvernement américain pour s'être immiscée dans les élections américaines. Prigojine a admis avoir fondé la soi-disant ferme à trolls:
D'un point de vue financier, l'approche de Prigojine consistait à établir un réseau complexe d'exploitations minières lucratives de ressources naturelles. Celles-ci s'étendaient des mines d'or de la République centrafricaine aux mines de diamants du Soudan. Pour soutenir l'implication directe du groupe Wagner dans les hostilités, cette stratégie a été complétée par d'importantes injections de fonds de la part de l'État russe. Cette participation s'est étendue de la Syrie à l'Ukraine, en passant par l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest.
Mes recherches montrent que les réseaux de Prigojine sont suffisamment solides pour perdurer. Mais seulement tant que la règle d'or du mercenaire reste intacte: les armes à louer doivent être payées.
En Libye et au Mali, il est peu probable que la Russie cède du terrain en raison d'objectifs géopolitiques durables. Il s'agit notamment de tirer des revenus des champs pétroliers, de garantir l'accès aux ports pour sa marine et d'asseoir sa position de faiseur de rois dans la région. En revanche, la République centrafricaine pourrait faire l'objet d'une attention moindre de la part de Moscou. L'implication du groupe Wagner dans ce pays était principalement liée aux intérêts personnels de Prigojine dans les revenus des mines d'or.
L'histoire a montré que l'Afrique est un terrain lucratif pour les mercenaires en raison de divers facteurs. Il s'agit notamment de:
En l'état actuel des choses, les pays d'Afrique autrefois considérés comme des alliés de l'Occident sont à la recherche d'alternatives. La Russie apparaît de plus en plus comme un candidat viable. En janvier 2024, le chef de la junte tchadienne, Mahamat Idriss Deby, a rencontré le président russe Vladimir Poutine à Moscou pour «développer des relations bilatérales». Le Tchad avait auparavant adopté une politique pro-occidentale.
Un mois plus tôt, le vice-ministre russe de la Défense, Iounous-bek Evkourov, chargé de superviser les activités de Wagner au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, s'est rendu au Niger. Les deux pays ont convenu de renforcer leurs liens militaires. Le Niger est actuellement dirigé par l'armée après un coup d'Etat en juillet 2023.
L'Africa Corps nouvellement rebaptisé pourrait explorer un certain nombre de voies.
La machine de propagande mise en place par Prigojine pourrait s'essouffler pendant la transition. Mais cela ne signifiera pas la disparition immédiate de l'écosystème de désinformation russe.
Des efforts diplomatiques russes sont déjà en cours pour préserver le statu quo. C'est ce qui ressort clairement du soutien apporté par Moscou à la récente Alliance des Etats du Sahel, qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ces trois pays sont dirigés par des militaires qui ont renversé des gouvernements civils et ont récemment annoncé leur intention de se retirer de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, qui compte 15 membres.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original