Des appels au meurtre, au viol, à arracher les ongles: une fièvre éradicatrice s’est emparée ces derniers jours d’influenceurs sur les réseaux sociaux. Résidant sur le territoire français, de nationalité algérienne et s’exprimant pour la plupart en arabe, ces contempteurs en ont après les opposants, en France et en Algérie, du président algérien Abdelmadjid Tebboune.
On se croirait revenu au temps de la guerre d’Algérie, quand le FLN, le Front de libération nationale qui allait obtenir l’indépendance, livrait une guerre interne, en France même, aux partisans de la mouvance concurrente, le Mouvement national algérien, le MNA.
Prenant ces messages de haine au sérieux, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a fait procéder à des arrestations. De son côté, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, tout en sous-entendus, dit avoir des «doutes» sur les intentions de l'Algérie envers la France.
En réalité, rien ne va plus entre les deux pays. Sur X, le think tank d’analyse internationale Atum Mundi va jusqu’à se demander: «Menace d'attentats en France, l'Algérie mène-t-elle une guerre hybride contre la France?»
Ce à quoi l’ancien ambassadeur de France, Gérard Araud, répond, à demi-ironique:
Décodage: le 29 octobre à Rabat, lors d’une visite officielle au Maroc, le président français Emmanuel Macron a déclenché l’ire de l’Algérie en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, cette bande de terre située sur la rive atlantique entre le Maroc et la Mauritanie et revendiquée par le peuple sahraoui, soutenu par l’Algérie.
L'Algérie a pris cette reconnaissance et le rapprochement de la France avec le Maroc comme un affront inexcusable. La réponse à la «lune de miel» franco-marocaine n’a pas tardé. Le 16 décembre à Alger, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, pourfendeur de l’autoritarisme et de l’islamisme, qui avait plus tôt, dans un journal marocain, remis en cause le tracé de la frontière algéro-marocaine, était arrêté.
Boualem Sansal, 75 ans, détenu, depuis, dans une unité pénitentiaire d’un hôpital de la capitale algérienne, est, de fait, l’«otage d’Alger». Il risque la prison à vie pour «trahison». Lundi 6 janvier, devant les ambassadeurs français réunis à l'Elysée, Emmanuel Macron a affirmé que l'Algérie «entre dans une histoire qui la déshonore» en ne libérant pas Boualem Sansal. Six jours plus tôt, s'adressant à la France, le président Tebboune avait traité à demi-mot l’écrivain de quasi-bâtard:
D’où cette question: les appels aux meurtres évoqués plus haut s’inscrivent-ils dans l’actuel activisme anti-français d’Alger? Ce n’est pas impossible. De nationalité algérienne, réfugié politique en France depuis décembre 2023 après avoir pris part, en 2019, au mouvement de protestation algérien baptisé Hirak, Chawki Benzehra, 33 ans, est l’une des cibles des appels au meurtre.
Dans cette affaire, il tient le rôle du «lanceur d’alerte», rapporte-t-il à watson. C’est lui qui a signalé les propos, d’une rare violence, proférés en soutien au régime algérien par l’influenceur «Zazou Youcef», résidant à Brest, 400 000 abonnés sur TikTok, depuis incarcéré, en instance de jugement.
S’attaquant aux opposants du régime algérien, le jeune homme de 25 ans a lancé: «Il faut faire parler la poudre, président Tebboune», «On va vous violer», «Tirez, on les enterrera avec les Juifs».
Pour avoir relayé et dénoncé les paroles incendiaires de «Zazou Youcef», Chawki Benzehra s’est attiré les foudres d’autres influenceurs algériens résidant en France, appelant eux aussi à faire du mal aux opposants au régime d’Alger, le tout dans un mélange de nationalisme, d’islam identitaire et d’antisémitisme.
Un ancien chroniqueur des Grandes Gueules sur RMC, Mehdi Ghezzar, remercié de l'antenne en août dernier pour avoir tenu des propos insultant le Maroc sur une chaîne algérienne, «fait office de courroie de transmission du pouvoir algérien en France», affirme Chawki Benzehra. «En septembre, il était le directeur de campagne d’Abdelmadjid Tebboune en France», précise-t-il. Le président Tebboune a été réélu à la présidence de la République avec 84,30 % au premier tour. Le régime algérien a tout fait pour étouffer le Hirak, auquel la crise Covid a porté un coup fatal.
Pour Chawki Benzehra, on a affaire à un «cocktail explosif».
Et les appels aux meurtres?
Côté français, des voix demandent la dénonciation de l’Accord de 1968 «relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles». Il est favorable sur plusieurs points à l’immigration algérienne, même si l’obtention d’un visa pour la France est devenue difficile, voire impossible pour l’Algérien lambda en l'absence d'un contrat de travail. Les critiques portent aussi sur le refus de l'Algérie de reprendre sur son sol les «OQTF», les personnes obligées de quitter le territoire français.
La France, qui compte, cependant, sur le gaz algérien pour faire fonctionner ses usines, donne à l’Algérie, son ancienne colonie, l’impression d’en avoir assez d’elle. Cette dernière, d’une étrange façon, semble s’accrocher à elle et lui dire: si le régime tombe en Algérie, les conséquences seront douloureuses pour la France.