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L'affaire Sansal mène la France et l'Algérie vers l'escalade

Boualem Sansal.
Boualem Sansal.image: capture

L’arrestation de Boualem Sansal mène la France et l'Algérie vers l'escalade

L'affaire de l'écrivain Boualem Sansal détenu à Alger témoigne de la dégradation des relations franco-algériennes. Un historien critique Emmanuel Macron et dénonce un «matraquage médiatique». Alors qu'Alain Finkielkraut, joint par watson, souhaite élire d'urgence le romancier à l'Académie française.
28.11.2024, 18:4529.11.2024, 23:59
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Où mènera la crise ouverte entre la France et l’Algérie à la suite de l’arrestation de Boualem Sansal, le 16 novembre à Alger? L’Etat français évite les déclarations intempestives. Il n'a pas rappelé son ambassadeur. Paris agit pour l'heure dans la coulisse diplomatique en vue de la libération de l’écrivain franco-algérien, pense-t-on.

Accusé par le parquet antiterroriste algérien d’«atteinte à l'intégrité du territoire national», il est notamment reproché au romancier âgé de 75 ans des déclarations à un média français, dans lesquelles il aurait remis en cause le tracé des frontières de l’Algérie avec le Maroc. Il risque théoriquement une peine de prison à perpétuité.

Etant donné la gravité du chef d’accusation, obtenir la libération de Boualem Sansal ne sera pas chose facile. Une partie de la presse algérienne accuse l’écrivain d’être à la solde de la France et des «sionistes». La procédure judiciaire ira-t-elle jusqu’au procès? Le mis en cause a fait appel de son placement sous mandat de dépôt – il serait détenu dans une unité pénitentiaire d'un hôpital d'Alger.

«Libérer Boualem Sansal, alors que les charges pesant contre lui sont graves et alors qu’on assiste à un matraquage médiatique en sa faveur en France, pourrait être perçu en Algérie comme une reculade du gouvernement algérien», estime Naoufel Brahimi El Mili, docteur en sciences-politiques, auteur de France-Algérie: 50 ans d'histoires secrètes (Fayard, 2017), joint par watson. Pour Naoufel Brahimi El Mili, dont l’analyse se démarque des soutiens à Boualem Sansal:

«L'écrivain a tenu des propos justiciables selon les lois algériennes»
Naoufel Brahimi El Mili

En France, des pétitions sont signées pour demander la libération immédiate de Boualem Sansal. L’écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin souhaite qu’il soit élu «en urgence» à l’Académie française. Le philosophe Alain Finkielkraut, lui-même académicien, soutient «sans réserve» cette proposition, indique-t-il à watson. «Le soutenir, c’est l’accueillir», dit-il à propos du romancier franco-algérien.

«Boualem Sansal a une œuvre littéraire derrière lui. L’Académie doit être à la hauteur de ce moment historique et l’accueillir d’urgence»
Alain Finkielkraut

Alain Finkielkraut s’en allait jeudi après-midi tenter de convaincre Amin Maalouf, un autre académicien, du bienfondé de cette idée, face à laquelle l’écrivain franco-libanais aurait des réticences.

Le cas Boualem Sansal rend compte d’une dégradation des relations franco-algériennes, qui ont rarement été bonnes depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. «Emmanuel Macron a multiplié les impairs», affirme Naoufel Brahimi El Mili.

«Pour justifier le rapprochement récent de la France avec le Maroc, Macron dit avoir tout essayé avec l’Algérie. Non, il a mal essayé»
Naoufel Brahimi El Mili

«Lorsque, en janvier 2022, face aux rapatriés d’Algérie, Emmanuel Macron évoque la répression des forces françaises contre des Français d’Algérie en 1962, il omet de citer l’OAS (réd: Organisation de l’armée secrète, un groupe terroriste opposé à l'indépendance de l'Algérie, qui tentera d’assassiner le général de Gaulle, accusé d’avoir bradé l’Algérie)», relève le spécialiste des relations franco-algériennes.

«Ce qu'Emmanuel Macron aurait dû dire»

Naoufel Brahimi El Mili poursuit sont réquisitoire:

«Lorsqu’Emmanuel Macron condamne le massacre du 17 octobre 1961 commis contre des Algériens manifestant pacifiquement à Paris, il parle de "Monsieur Papon" et non du préfet Papon, le donneur d’ordres de la répression, comme s’il ne voulait pas reconnaître la responsabilité de l’Etat dans cette tragédie. La tactique du "en même temps" ne marche pas dans cette matière factuelle.»
Naoufel Brahimi El Mili
«J'ajoute que c'est Emmanuel Macron qui a accordé en personne la nationalité française cette année à Boualem Sansal. A ma connaissance, le dernier président français à avoir fait un tel geste était François Mitterrand avec l'écrivain tchèque Milan Kundera, en pleine guerre froide Est-Ouest. Aujourd'hui, on est dans une situation de conflit entre le Nord et le Sud Global.»
Naoufel Brahimi El Mili

Qu’aurait dû faire le chef de l'Etat français, aux yeux de l'auteur de France-Algérie: 50 ans d'histoires secrètes? «Il aurait suffi qu’Emmanuel prononce un discours de président français reconnaissant les crimes de la colonisation depuis 1830 jusqu’aux massacres de Sétif, Guelma et Kherrata du 8 mai 1945, sans aller plus loin, cela aurait suffi. Au lieu de cela, lors d’une visite en août 2022 à Alger, il a créé (réd: avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune) une commission franco-algérienne d’historiens chargée de travailler sur la mémoire. Or la mémoire est affaire de ressentis. Les historiens, eux, se penchent sur les faits.»

Jamais satisfaits, les Algériens, s’est dit Emmanuel Macron. D’où son «on a tout essayé avec l’Algérie».

«L’Algérie envoie valser les conventions de l’Occident»

Et si l’arrestation de Boualem Sansal marquait un tournant dans la relation franco-algérienne, comme une émancipation d’Alger vis-à-vis de Paris? C’est l'analyse de cette journaliste franco-algérienne vivant en France. «Je regrette l’arrestation de Boualem Sansal. Un individu ne doit pas être arrêté pour ses idées. Dans le cas présent, c’est sans doute moins l’écrivain que le personnage politique qu’est aussi Boualem Sansal à travers ses déclarations sur l’Algérie et son parti-pris israélien, qui est poursuivi par la justice algérienne.»

La journaliste franco-algérienne ajoute:

«Mon impression, c’est que l’Algérie envoie valser les conventions de l’Occident, son discours sur les droits de l’homme, dont on voit bien le caractère fluctuant avec l’exemption de poursuites accordée par la France au premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, poursuivi pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale.»

«Coupons le cordon!»

Emancipation de l’Algérie vis-à-vis de la France? Un même mouvement s’observe dans le sens inverse. Dans son numéro de novembre, le mensuel Causeur titre en une, ironique: «Pour l’indépendance de l’Algérie: coupons le cordon!» Charlie Hebdo met cette semaine Boualem Sansal en couverture, avec cette accroche: «Algériens, reprenez vos imams, rendez-nous vos écrivains!»

Image

Il y a de part et d’autre comme un ras-le-bol des faux-semblants, comme une envie de tirer un trait sur la «relation franco-algérienne».

Dans la diaspora franco-algérienne vivant et souvent née en France, beaucoup n’imaginent plus leur vie, du moins celle de leurs enfants, en France. Côté «franco-français», certains, comme Eric Zemmour, dont les parents sont des juifs d'Algérie, appellent à mots plus ou moins couverts à la remigration des personnes non satisfaites de leur existence sur le sol français. Sans aller jusque-là, on constate une lassitude face aux reproches en lien avec la colonisation.

«Crise provoquée»

C’est dans ce contexte de désamour réciproque – pas chez tout le monde, bien sûr – que survient l’affaire Boualem Sansal. Tout en précisant «ne pas verser dans la complotisme», Naoufel Brahimi El Mili émet l’hypothèse d'une «crise provoquée par l'écrivain pour servir ses intérêts».

«L’écrivain s’attendait peut-être à des ennuis en se rendant en Algérie après ses propos sur les frontières algériennes. Ou alors s’est-il trop fié à ses amis français qui, n’en pensant pas moins, lui auraient dit qu’il ne risquait rien en allant à Alger.»
Naoufel Brahimi El Mili

L’Algérie va-t-elle finalement libérer Boualem Sansal et le renvoyer en France après l’avoir déchu de sa citoyenneté algérienne? Le condamnera-t-elle à une peine de prison, qu’il pourrait effectuer, là encore, en France? Bref, se montrera-t-elle dure ou magnanime? Sur les réseaux, en France même, des Franco-Algériens redoublent de propos hargneux, demandant une peine sévère contre l’écrivain. Tous ne réalisent peut-être pas que personne, dans cette affaire, hormis les boutefeus, n’a intérêt à l’escalade.

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