Où mènera la crise ouverte entre la France et l’Algérie à la suite de l’arrestation de Boualem Sansal, le 16 novembre à Alger? L’Etat français évite les déclarations intempestives. Il n'a pas rappelé son ambassadeur. Paris agit pour l'heure dans la coulisse diplomatique en vue de la libération de l’écrivain franco-algérien, pense-t-on.
Accusé par le parquet antiterroriste algérien d’«atteinte à l'intégrité du territoire national», il est notamment reproché au romancier âgé de 75 ans des déclarations à un média français, dans lesquelles il aurait remis en cause le tracé des frontières de l’Algérie avec le Maroc. Il risque théoriquement une peine de prison à perpétuité.
Etant donné la gravité du chef d’accusation, obtenir la libération de Boualem Sansal ne sera pas chose facile. Une partie de la presse algérienne accuse l’écrivain d’être à la solde de la France et des «sionistes». La procédure judiciaire ira-t-elle jusqu’au procès? Le mis en cause a fait appel de son placement sous mandat de dépôt – il serait détenu dans une unité pénitentiaire d'un hôpital d'Alger.
«Libérer Boualem Sansal, alors que les charges pesant contre lui sont graves et alors qu’on assiste à un matraquage médiatique en sa faveur en France, pourrait être perçu en Algérie comme une reculade du gouvernement algérien», estime Naoufel Brahimi El Mili, docteur en sciences-politiques, auteur de France-Algérie: 50 ans d'histoires secrètes (Fayard, 2017), joint par watson. Pour Naoufel Brahimi El Mili, dont l’analyse se démarque des soutiens à Boualem Sansal:
En France, des pétitions sont signées pour demander la libération immédiate de Boualem Sansal. L’écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin souhaite qu’il soit élu «en urgence» à l’Académie française. Le philosophe Alain Finkielkraut, lui-même académicien, soutient «sans réserve» cette proposition, indique-t-il à watson. «Le soutenir, c’est l’accueillir», dit-il à propos du romancier franco-algérien.
Alain Finkielkraut s’en allait jeudi après-midi tenter de convaincre Amin Maalouf, un autre académicien, du bienfondé de cette idée, face à laquelle l’écrivain franco-libanais aurait des réticences.
Le cas Boualem Sansal rend compte d’une dégradation des relations franco-algériennes, qui ont rarement été bonnes depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. «Emmanuel Macron a multiplié les impairs», affirme Naoufel Brahimi El Mili.
«Lorsque, en janvier 2022, face aux rapatriés d’Algérie, Emmanuel Macron évoque la répression des forces françaises contre des Français d’Algérie en 1962, il omet de citer l’OAS (réd: Organisation de l’armée secrète, un groupe terroriste opposé à l'indépendance de l'Algérie, qui tentera d’assassiner le général de Gaulle, accusé d’avoir bradé l’Algérie)», relève le spécialiste des relations franco-algériennes.
Naoufel Brahimi El Mili poursuit sont réquisitoire:
Qu’aurait dû faire le chef de l'Etat français, aux yeux de l'auteur de France-Algérie: 50 ans d'histoires secrètes? «Il aurait suffi qu’Emmanuel prononce un discours de président français reconnaissant les crimes de la colonisation depuis 1830 jusqu’aux massacres de Sétif, Guelma et Kherrata du 8 mai 1945, sans aller plus loin, cela aurait suffi. Au lieu de cela, lors d’une visite en août 2022 à Alger, il a créé (réd: avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune) une commission franco-algérienne d’historiens chargée de travailler sur la mémoire. Or la mémoire est affaire de ressentis. Les historiens, eux, se penchent sur les faits.»
Jamais satisfaits, les Algériens, s’est dit Emmanuel Macron. D’où son «on a tout essayé avec l’Algérie».
Et si l’arrestation de Boualem Sansal marquait un tournant dans la relation franco-algérienne, comme une émancipation d’Alger vis-à-vis de Paris? C’est l'analyse de cette journaliste franco-algérienne vivant en France. «Je regrette l’arrestation de Boualem Sansal. Un individu ne doit pas être arrêté pour ses idées. Dans le cas présent, c’est sans doute moins l’écrivain que le personnage politique qu’est aussi Boualem Sansal à travers ses déclarations sur l’Algérie et son parti-pris israélien, qui est poursuivi par la justice algérienne.»
La journaliste franco-algérienne ajoute:
Emancipation de l’Algérie vis-à-vis de la France? Un même mouvement s’observe dans le sens inverse. Dans son numéro de novembre, le mensuel Causeur titre en une, ironique: «Pour l’indépendance de l’Algérie: coupons le cordon!» Charlie Hebdo met cette semaine Boualem Sansal en couverture, avec cette accroche: «Algériens, reprenez vos imams, rendez-nous vos écrivains!»
Il y a de part et d’autre comme un ras-le-bol des faux-semblants, comme une envie de tirer un trait sur la «relation franco-algérienne».
Dans la diaspora franco-algérienne vivant et souvent née en France, beaucoup n’imaginent plus leur vie, du moins celle de leurs enfants, en France. Côté «franco-français», certains, comme Eric Zemmour, dont les parents sont des juifs d'Algérie, appellent à mots plus ou moins couverts à la remigration des personnes non satisfaites de leur existence sur le sol français. Sans aller jusque-là, on constate une lassitude face aux reproches en lien avec la colonisation.
C’est dans ce contexte de désamour réciproque – pas chez tout le monde, bien sûr – que survient l’affaire Boualem Sansal. Tout en précisant «ne pas verser dans la complotisme», Naoufel Brahimi El Mili émet l’hypothèse d'une «crise provoquée par l'écrivain pour servir ses intérêts».
L’Algérie va-t-elle finalement libérer Boualem Sansal et le renvoyer en France après l’avoir déchu de sa citoyenneté algérienne? Le condamnera-t-elle à une peine de prison, qu’il pourrait effectuer, là encore, en France? Bref, se montrera-t-elle dure ou magnanime? Sur les réseaux, en France même, des Franco-Algériens redoublent de propos hargneux, demandant une peine sévère contre l’écrivain. Tous ne réalisent peut-être pas que personne, dans cette affaire, hormis les boutefeus, n’a intérêt à l’escalade.