Spartacus, alias Djokovic, est de retour à Belgrade. L’Australie, alias le système, n’a pas voulu de lui. Jamais les mots du père du joueur n’auront sonné si justes aux oreilles des convaincus. Souvenons-nous, c’était il y a une dizaine de jours, son fils était bloqué dans une piaule d’hôtel à Melbourne. Il disait:
La comparaison avec le héros de la révolte des esclaves, menaçant Rome en l’an 70 avant Jésus-Christ, a fait le tour du monde telle une onde de choc. On pouvait et on peut toujours l’entendre ainsi: «Tremble, système (la Rome contemporaine)! Ta victoire n'empêchera pas ta défaite!»
Cette vision prophétique est celle des damnés de la terre, des dominés. Dominés par qui? Par l’empire, les gros, les riches, les puissants, les décadents. Un jour, ils rendront des comptes. A qui? Aux antivax qui ont fait de Novak Djokovic leur porte-drapeau, entre autres.
Srdan, le paternel de celui qui reste pour quelques semaines encore numéro un mondial de tennis, n’est pas le premier à convoquer la figure morale et combative de Spartacus. Qui n’est donc pas qu’un personnage valeureux de BD ou de péplum hollywoodien. Il est d'abord une force révolutionnaire, inquiétante pour l’ordre établi. Les marxistes allemands du début du 20e siècle en ont fait un courant politique, le spartakisme. L’ennemi capitaliste d’alors s’appelait les ploutocrates, ceux qui s’en mettaient plein la panse sur le dos des prolétaires. L'image, dévalorisante, devait virer à l'antisémitisme.
«Spartacus incarne la révolte des classes opprimées. Il représente une sorte d’idéal de la liberté contre l’oppression. C’est un emblème qu’on mobilise de temps à autre», observe René Knüsel, professeur honoraire de sciences-politiques à l’Université de Lausanne (Unil).
L’islamisme, en tant que discours politico-religieux de rupture, se sert à l’occasion de cet emblème-là contre un pouvoir tenu pour illégitime et injuste. Comme dans ces mots datant de 2013. Ils ont été prononcés par Elias d’Imzalène, responsable du site français Islam & Info, l’info par le musulman pour le musulman:
Mélange de marxisme et d’ésotérisme, ces propos ne déparent pas avec ceux tenus de nos jours par des gourous de l’antisystème, avec lesquels les communistes se retrouvent ou non. Le lyrisme, teinté de menaces, déployé par le père de Novak Djokovic s’inscrit dans la promesse plus générale d’un renversement des dominants. Sa diatribe contre «l'injustice, le colonialisme et l'hypocrisie» rejoint de mêmes propos accusateurs pointés par des militants tiers-mondistes, parmi eux des islamistes, contre l’Occident.
Etonnante convergence des luttes entre le nationaliste serbe orthodoxe, dépossédé du Kosovo, sa «terre ancestrale», et le musulman s’estimant floué à tout point de vue. Mais un jour viendra le rédempteur, le justicier: Spartacus. Ce soir, il dort à Belgrade.