L'homme suspecté de l'attaque «à motif politique» du mari de la cheffe des démocrates au congrès des Etats-Unis, Nancy Pelosi, a été inculpé de tentatives de meurtre et d'enlèvement, lundi 31 octobre. Il cherchait l'élue et a déclaré lors de son arrestation avoir eu l'intention de lui «briser les rotules».
Les assassinats politiques ont une longue tradition aux Etats-Unis, et oui, ils se situent des deux côtés de l'échiquier politique: John F. Kennedy a été abattu, Ronald Reagan a failli l'être. Des milices d'extrême droite ont voulu enlever Gretchen Whitmer, la gouverneure démocrate du Michigan. Un assassin d'extrême gauche a failli tuer le député républicain Steve Scalise.
De ce point de vue, on pourrait inscrire l'attentat de vendredi dernier contre Paul Pelosi dans cette tradition peu glorieuse, le déplorer et revenir ensuite à nos affaires courantes. Mais il ne faut pas et voici pourquoi.
Quatre démocrates sur cinq voient dans les républicains non seulement des adversaires politiques, mais aussi un danger pour la démocratie. L'inverse est tout aussi vrai. De même que chez nous, les catholiques n'avaient autrefois pas le droit d'épouser des protestants, les parents américains se désespèrent aujourd'hui si l'un de leurs enfants veut se marier avec un membre de l'autre parti.
Les Américains sont plus divisés politiquement que jamais depuis la guerre civile. Près de la moitié des républicains ne croient pas seulement à l'imminence d'une nouvelle guerre civile, ils saluent même cette évolution. Des politologues reconnus estiment que le risque d'une telle guerre est considérable. Les Américains sont donc armés jusqu'aux dents (pour rappel, il y a aujourd'hui plus d'armes à feu que d'habitants dans le pays).
Susan Collins, une sénatrice républicaine modérée de l'Etat du Maine, avait déjà mis en garde il y a des semaines dans le New York Times contre un attentat visant des membres du Congrès. Le fait que Paul Pelosi soit la victime n'est pas un hasard: il est l'époux de la femme la plus détestée de la droite. L'auteur de l'attentat est un homme de 42 ans nommé David DePape. Il a crié «Où est Nancy?» en pénétrant dans la maison.
Nancy Pelosi incarne à peu près tout ce que les conservateurs détestent. Elle est intelligente, riche et sans doute la stratège la plus habile de la politique américaine. David Axelrod, un ancien conseiller de Barack Obama, explique au New York Times:
Les memes haineux contre Pelosi sont très fréquents dans les forums d'extrême droite. Donald Trump a encore jeté de l'huile sur le feu. Il n'a cessé de qualifier Pelosi de «folle» et l'a accusée d'être hystérique et d'avoir tendance à faire des crises de nerfs incontrôlables. La députée d'extrême droite Marjorie Taylor Greene a même insulté Pelosi de «traître à la nation», un crime qui doit être puni par la mort.
Dans les talk-shows politiques de dimanche, les représentants du Grand Old Party se sont efforcés de souligner que la violence se trouvait des deux côtés de l'échiquier politique. Ils ont par exemple fait référence à un attentat récemment évité contre Brett Kavanaugh, un juge conservateur de la Cour suprême. La comparaison est pourtant plus que biaisée.
Depuis des années, le FBI désigne le terrorisme d'extrême droite comme la plus grande menace pour la sécurité du pays. Or, le FBI n'est pas forcément connu comme une organisation d'extrême gauche.
Une affirmation solidement étayée par des statistiques. Depuis 2001, les terroristes d'extrême droite ont tué 122 personnes aux Etats-Unis. En revanche, on ne compte qu'une seule victime liée à un attentat d'extrême gauche. Une étude du Center for Strategic and International Studies, un groupe de réflexion renommé, a révélé l'année dernière que les extrémistes de droite étaient impliqués dans 267 attentats planifiés ou exécutés. Ce chiffre est à comparer aux 60 projets similaires d'extrême gauche.
Enfin, une étude du Washington Post et de l'Université du Maryland a révélé que 40% des républicains estiment que la violence contre le gouvernement est justifiée. Seuls 23% des démocrates partagent cette opinion.
Le rappeur Kanye West, qui ne veut plus être appelé que Ye depuis peu, était une icône culturelle aux Etats-Unis. Il n'est pas uniquement considéré comme un génie musical, c'est aussi un créateur de mode. Avec son ancienne épouse Kim Kardashian, West incarnait la fierté noire et la consommation sans limite.
Entre-temps, West est devenu le symbole de l'antisémitisme et du racisme. Lors de la semaine de la mode à Paris, il est apparu avec un t-shirt portant l'inscription «White Lives Matter». Peu de temps après, il a publié un tweet dans lequel il menaçait de passer désormais à l'état d'alerte trois contre les juifs. Le rappeur est manifestement allé trop loin. Des sponsors comme Adidas ont résilié ses contrats.
Les excuses présentées entre-temps ne devraient pas empêcher le rappeur à la santé mentale controversée de devenir définitivement un paria. Le fait que Kanye West ait ainsi déclenché un flot de tweets antisémites est toutefois préoccupant.
En rachetant Twitter, Elon Musk veut faire de la plateforme une arène où toutes les voix sont entendues. C'est pourquoi il a viré les membres de la direction le jour même du rachat et annoncé qu'il n'y aurait plus de censure à l'avenir. Il n'était visiblement que partiellement conscient de ce à quoi il s'engageait. Peu de temps après, il a dû ajouter dans un communiqué adressé aux annonceurs que Twitter ne deviendrait pas un «gouffre infernal» pour les extrémistes.
C'est précisément ce qui se prépare, et Elon Musk lui-même y participe activement. Dimanche 30 octobre, il a envoyé un tweet à ses 112 millions de followers au sujet de l'assassinat de Paul Pelosi, dans lequel on peut lire:
Le tweet fait référence à une histoire parue dans le Santa Monica Observer, un journal notoirement connu pour ses mensonges d'extrême droite. Sans le moindre début de preuve, on y affirme que le cas de Paul Pelosi n'était pas une attaque à motivation politique, mais une dispute entre homosexuels.
Les milieux d'extrême droite ont immédiatement et gracieusement accueilli ces fake news. Le cinéaste d'extrême droite Dinesh D'Souza, par exemple, gracié par Trump, a immédiatement fait savoir à ses followers sur Twitter:
Elon Musk dit de lui-même qu'il souffre d'une forme légère du syndrome d'Asperger et qu'il a donc tendance à s'emporter de manière incontrôlée. Il a entre-temps supprimé son tweet sur Paul Pelosi. Ce qui perdure, c'est bien la crainte que Twitter ne devienne effectivement un gouffre infernal pour l'extrême droite.