L'inévitable rencontre a fini par se produire. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, depuis longtemps persona non grata en Occident, a été accueilli par son homologue chinois Wang Yi mardi à Bali. Le tout, avec une poignée de main tendue et un sourire chaleureux.
Ce que les deux hommes ont eu à se dire a dû heurter amèrement les politiques européens. Wang Yi aurait assuré vouloir «approfondir la coopération pragmatique avec la Russie» et promouvoir un ordre mondial «multipolaire». La guerre d'agression russe a simplement été qualifiée de «question ukrainienne».
Seule une des déclarations de Wang peut être interprétée - avec beaucoup de bonne volonté - comme une légère déviation de la propagande habituelle: la Chine aurait remarqué de manière positive que la Russie a récemment confirmé sa «position rationnelle et responsable», selon laquelle une guerre nucléaire ne devrait jamais être menée.
Depuis février, l'Occident politique décrypte avec attention chaque syllabe que les représentants du gouvernement chinois adressent à la Russie. Dernièrement, le chef d'Etat Xi Jinping a reçu de nombreuses louanges internationales pour sa déclaration lors de la visite du chancelier allemand à Pékin, au début du mois: la Chine rejetterait à la fois «l'utilisation et la menace d'armes nucléaires».
Il s'agit en effet des paroles les plus critiques de Pékin à l'égard du Kremlin depuis le début de la guerre. En conséquence, de nombreux observateurs se sont insurgés contre l'interprétation selon laquelle les dirigeants chinois étaient enfin revenus à la raison et avaient ajusté leur position loyale envers Moscou.
Mais à y regarder de plus près, il ne s'agit que de vœux pieux. Il n'y a jusqu'à présent aucune base factuelle pour un changement de cap de la Chine. En fait, la déclaration de Xi Jinping n'en était même pas le signe: la prise de position était extrêmement vague, la Russie n'était même pas mentionnée directement. Et lors des rencontres au sommet de Xi avec le président américain Joe Biden et le président français Emmanuel Macron, le rejet des armes nucléaires n'a pas non plus été répété dans le communiqué chinois.
Une chose est sûre: la République populaire continue d'avancer sur une corde raide. A l'extérieur, elle se présente comme une nation neutre et pacifique qui s'engage dans les négociations et les discussions. En réalité, elle semble plutôt s'être rangée du côté de la Russie - car, alors que Xi et Vladimir Poutine se sont promis une «amitié sans frontières» quelques jours seulement avant l'invasion russe, le chef d'Etat chinois n'a même plus téléphoné à Volodymyr Zelensky depuis le début de la guerre.
Les médias officiels de l'Etat chinois continuent en outre de reprendre la propagande russe - avec des différences minimes. Dans le journal du parti People's Daily, on peut lire par exemple que «la théorie de la menace nucléaire est montée en épingle à l'Ouest» et que la Russie n'utiliserait ses armes nucléaires que pour se défendre. Dans le journal télévisé du soir Xinwen Lianbo, diffusé quotidiennement sur CCTV, l'Ukraine a même été identifiée comme étant la principale responsable de l'attaque de missiles en Pologne. Et derrière tous ces développements se trouve une OTAN incendiaire dirigée par Washington.
Lorsque les Nations unies ont voté cette semaine une résolution visant à «établir une base pour de futurs paiements de réparation de la Russie à l'Ukraine», la Chine - ainsi que la Syrie, la Corée du Nord et l'Iran - ont voté contre. L'Inde, également critiquée par l'Occident pour sa position favorable à la Russie, s'est au contraire abstenue lors du vote.
La relation de la Chine avec la Russie n'est évidemment pas gravée dans le marbre. Elle s'adapte plutôt aux évolutions extérieures. Mais la marge de manœuvre entre rapprochement et distance est relativement faible: l'intérêt stratégique de Pékin à remodeler l'ordre mondial selon ses propres idées continue de primer sur les désaccords à court terme. Et pour briser l'hégémonie occidentale, menée par les Etats-Unis, la logique chinoise a absolument besoin de la Russie comme partenaire international. (aargauerzeitung.ch)