Le président ukrainien Volodymyr Zelensky affirme que l'Ukraine a repris en quelques jours des milliers de kilomètres carrés de territoire aux forces russes lors d'une contre-offensive près de Kharkiv. Kiev s'est réjoui de ces victoires.
L'Ukraine affirme également que les récentes opérations offensives dans le sud étaient une ruse qui s'est avérée payante pour éloigner les forces russes de la région de Kharkiv.
À Moscou, le gouvernement du président Vladimir Poutine a jusqu'ici gardé le silence sur les derniers événements, même si les médias d'État russes ont reconnu les victoires ukrainiennes. Bien qu'il puisse y avoir de bonnes raisons militaires pour expliquer ce silence, l'affirmation de Moscou voulant que le retrait des forces russes de la région s'inscrive dans le cadre d'un regroupement de ses troupes pour des opérations plus au sud nuit à sa crédibilité.
Les forces russes ont de toute évidence battu en retraite près de Kharkiv. Aux yeux des Occidentaux, mais aussi des Russes, il semble que Poutine ait perdu le contrôle de la situation.
La popularité de Poutine demeure solide en Russie, tout comme le soutien à son opération militaire dite spéciale en Ukraine (on a tout de même appris il y a quelques jours que des élus municipaux exigent sa démission). Ce soutien est toutefois tributaire d'un certain degré de réussite.
Lorsque d'éminents blogueurs qui soutiennent la guerre de même que le lieutenant de Poutine sur le terrain, le chef tchétchène Ramzan Kadyrov, commencent à remettre publiquement en question le déroulement de la guerre, Poutine ne peut pas les ignorer.
Dans l'état actuel des choses, la Russie a un gros problème d'effectifs en Ukraine. Ce n'est pas qu'elle ne dispose pas de forces armées importantes - sur papier, les forces armées russes comptent plus de 800 000 membres actifs. Cependant, une part importante de ces troupes ne peut être facilement déployée en Ukraine.
Au début de la guerre, Poutine s'est engagé à ne pas les envoyer en Ukraine et à ne pas faire appel à davantage de réservistes. Non seulement les conscrits ne sont pas censés servir à l'étranger, mais il existe également des mesures officielles pour empêcher qu'ils ne soient envoyés au combat sans formation suffisante.
Les tentatives visant à augmenter le nombre de volontaires dans les forces armées russes - avec d'importantes incitations financières - n'ont été que partiellement couronnées de succès. On ignore encore comment le gouvernement russe envisage d'ajouter plus de 100 000 personnes à ses troupes, comme l'a récemment déclaré Poutine.
Comme un grand nombre de ses soldats ne peuvent être déployés en Ukraine, la Russie a dû se tourner vers des unités plus petites, appelées groupes tactiques de bataillons, composées de troupes sous contrat, au lieu d'utiliser des brigades et des divisions plus importantes.
Aujourd'hui, compte tenu de la montée en puissance de l'Ukraine et des pertes russes, la Russie manque de soldats.
En principe, Poutine pourrait résoudre facilement ce problème de manque d'effectifs en instaurant de manière légale des conditions permettant aux conscrits de servir en Ukraine. Une telle démarche pourrait aussi justifier le rappel d'un grand nombre de réservistes - ceux qui ont déjà servi et qu'il est possible de rappeler.
Cependant, le problème qu'un tel changement des règles de déploiement des troupes constituerait pour Poutine est que cela mettrait fin à l'illusion qu'il a la situation bien en main en Ukraine. À court terme, cela nuirait sans aucun doute à sa crédibilité et se traduirait par un manquement à ses promesses.
En mobilisant uniquement des réservistes, la Russie pourrait remplacer les forces transférées d'autres régions de la Russie vers l'Ukraine, mais ces forces ont sans doute déjà été considérablement dépouillées de leur personnel sous contrat.
À bien des égards, la population russe a été préparée à considérer la guerre en Ukraine comme autre chose qu'une simple opération militaire spéciale.
En juillet, Poutine a déclaré que « l'Occident collectif » tentait de saper l'influence de la Russie dans sa propre cour en s'ingérant dans les affaires ukrainiennes. Selon Poutine, l'Occident « a organisé et soutenu le coup d'État armé anticonstitutionnel en Ukraine en 2014, puis a encouragé et justifié le génocide de la population du Donbas. »
L'implication occidentale dans les affaires ukrainiennes a été décrite par Poutine comme faisant partie de l'imposition par l'Occident d'un «modèle de libéralisme totalitaire».
Le soutien de l'Occident à l'Ukraine - militaire et autre, y compris les sanctions - a clairement démontré que la Russie est engagée dans une guerre indirecte avec l'Occident. Changer l'approche de l'opération spéciale ne ferait que confirmer ce qui est déjà évident, et ce, même pour les Russes. Il s'agit d'une guerre de grande ampleur, qui comprend des pertes, des défaites et des revers.
À court terme, l'utilisation de conscrits ou de réservistes serait impopulaire, en particulier si les gains territoriaux ukrainiens ne sont pas stoppés rapidement.
À long terme, toutefois, il est raisonnable de penser que si les offensives ukrainiennes sont arrêtées sans trop de pertes, une grande partie de la population russe pardonnerait à Poutine une escalade du conflit.
La possibilité que les Russes acceptent le recours aux conscrits et aux réservistes est plus forte maintenant que les forces russes sont largement sur la défensive en Ukraine.
Poutine a plusieurs façons de modifier les règles relatives à l'utilisation des conscrits afin d'augmenter ses effectifs. Accélérer l'annexion de Donetsk, de Louhansk et même du territoire situé au nord de la Crimée à la Fédération de Russie constituerait un tour de passe-passe juridique qui permettrait d'y déployer des conscrits. Toutefois, cela risquerait d'alimenter la détermination des Ukrainiens et des Occidentaux.
Certains observateurs occidentaux ont agité le spectre d'une utilisation d'armes nucléaires tactiques par la Russie, mais c'est prématuré.
Cependant, Poutine ne peut pas, dans un avenir proche, continuer à prétendre que tout va bien pour les forces russes en Ukraine. Il n'a guère d'autre choix que d'accepter une escalade dangereuse de l'engagement russe en Ukraine s'il souhaite que son peuple continue de soutenir la guerre, et s'il espère gagner.
La question n'est plus de savoir si ces changements auront lieu, mais plutôt quand ils se produiront.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original