Bien avant les télé-réalités, bien avant les likes sur Instagram et les lives sur OnlyFans, un célèbre vidéaste français baptisé Rémi Gaillard faisait le pitre sous un slogan efficace: «C'est en faisant n'importe quoi qu'on devient n'importe qui». Dans l'esprit de Julia Faustyna, on serait tenté de dire que c'est en disparaissant que l'on devient quelqu'un.
Il y a encore un mois, cette Allemande de 21 ans, domiciliée en Pologne, puis exilée tout récemment aux Etats-Unis, n'existait pas. Du moins, pas davantage que votre voisin d'un jour dans une rame de métro. Une nobody qui, le 20 février et en moins d'une heure, s'est propagée sur tous les écrans, en suggérant qu'elle pouvait être la célèbre Maddie McCann, disparue le 3 mai 2007 à Praia da Luz, au Portugal.
Au bout du fil, pour que l’on comprenne bien que ça ne date pas d'hier, le docteur en psychologie Philip Jaffé nous fait rembobiner en 1918 et à la disparition de la fille Romanov. Deux ans plus tard, branle-bas de combat, une femme sauvée de la noyade à Berlin pourrait bien être la plus jeune grande-duchesse de Russie. Fausse alerte.
A chaque fois, avant le fin mot, c'est la frénésie. Le lendemain de la déclaration fracassante de Julia, ses parents (actuels) se sont immédiatement avoués désemparés. Ceux de la petite Britannique, eux, se surprennent encore à verser quelques gouttes d'espoir sur tout ce ramdam. La police leur avait pourtant fortement conseillé de la considérer comme décédée, mais Maddie est peut-être vivante, qui sait?
La planète s'empare de l'affaire, les médias s'emballent, le compte Instagram de cette disparue présumée avale des quantités de followers. D'un jour à l'autre, la voilà même représentée par Fia Johansson, une étrange influenceuse qui se prétend tour à tour «porte-parole», «docteur», «médium» et «businesswoman».
Les réseaux sociaux fantasment déjà secrètement sur un happy-end. Malgré les clopinettes à disposition du public comme des autorités: si la ressemblance physique souffle un léger doute, la tache de naissance ne dupe pas grand monde et les âges ne correspondent pas.
Ce qui ne fait pas forcément sourciller notre spécialiste de la psychologie légale. «Il y a une probabilité, même infime, pour que les dires de cette fille se vérifient. C'est pour cela que nous sommes tous fascinés par ce type d'histoires. Ce sont des fables.» A la seconde où Julia Faustyna devenait le centre de l'attention, sa destinée ne lui appartenait plus. Et ça peut paraître dérisoire, puisque cette jeune femme prétend ne pas se souvenir de son enfance et que sa grand-mère lui aurait affirmé qu'elle avait été «abusée par un pédophile allemand».
Une ascension brutale et plurielle en ce qui concerne Julia. Car les détectives du dimanche se sont rapidement amusés à tirer d'autres conclusions génétiques. Une poignée de jour plus tard, patatras: l'Allemande serait bien une fille disparue, mais... pas forcément la bonne. On parle désormais de Livia, l'une des deux jumelles volatilisées en Suisse en 2011. La famille de Saint-Sulpice, intriguée par le battage, contactera elle-même la jeune femme polonaise. Livia est peut-être vivante, qui sait?
Jeudi matin, énième rebondissement. Selon Fia Johansson, sa porte-parole-médium-docteur-détective-influenceuse, Julia Faustyna aurait été victime d'un trafic sexuel international: «Nous avons actuellement de nombreuses preuves qui montrent que Julia a définitivement été victime de la traite vers la Pologne depuis un autre pays.»
Ce qui importe manifestement Fia Johansson, c'est que Julia ne serait pas la fille biologique de ses parents en Pologne. Pour Philip Jaffé, cette triste réalité de notre monde permet justement à ce type d'histoires d'attraper l'opinion publique aux tripes. «Des enfants disparaissent tous les jours, même s'ils sont nombreux à être retrouvés. Dans le lot des disparus, il y a parfois une Maddie. Mais, la plupart du temps, personne n'en parle.»
Dans les faits, quoi de plus facile, pratiquement, que de prétendre être quelqu'un qui, non seulement n'a pas été officiellement déclarée morte, mais que tout le monde recherche? D'autant que ni Maddie ni Livia ne sont en mesure de contredire les dires de Julia.
En 2015, un sexagénaire français clamait haut et fort être le fameux Xavier Dupont de Ligonnès, suspecté d'avoir assassiné toute sa famille le 6 avril 2011. L'homme est allé jusqu'à bloquer un TGV soudain envahi par la panique. Plus sérieux, en 2006, un homme prétendait avoir assassiné la célèbre mini-miss américaine JonBenét Patricia Ramsey, décédée à l'âge de six ans. John Mark Karr avait tout contre lui: perturbé psychologiquement, il avait été plusieurs fois arrêté pour détention d'images pédopornographiques et s'était marié avec des mineurs à l’étranger. Des tests ADN avaient terminé de l'innocenter.
Les individus qui se prétendent coupables d'un crime qu'ils n'ont pas commis ne manquent pas. «La personne qui se prétend criminelle a le sentiment d'exister en endossant la personnalité d'un autre. Elle reçoit une attention particulière des juges, de la police, de l'avocat. L'effet est encore augmenté si l'affaire est médiatisée», analysait Timothy Harding, l'ancien directeur de l'Institut universitaire de médecine légale à Genève, dans Le Temps.
Pour Philip Jaffé, dans cet affluent de l'affaire Maddie, la quête d'existence est précisément au cœur du processus. Que Julia l'ait prémédité ou non. «Cette jeune femme a existé très vite et très fort. Il est probable qu'elle en ait eu, d'une manière ou d'une autre, besoin. Les personnes plus fragiles psychologiquement se prennent plus facilement au jeu du quart d'heure de gloire.»
Une quête qui va durer au moins jusqu'aux résultats des différents tests, que sa «porte-parole» vient de promettre pour «bientôt». Comme pour le faux assassin John Mark Karr, l'information génétique pourrait déterminer une grande partie de l'avenir de Julia Faustyna.
Le généticien américain Robert Plomin disait d'ailleurs que «l'ADN est le premier déterminant de notre personnalité». Mais, à l'heure des réseaux sociaux, il est probable que la vérité scientifique ne soit pas suffisante pour dégonfler complètement ce qui peut, un jour, devenir «l'affaire Julia». Notre spécialiste en psychologie légale ne veut pas pour autant prédire le pire. «Comme pour les candidats de Loft Story, le retour à l'anonymat pourra effectivement s'avérer compliqué. Surtout lorsque le trouble de l'identité semble aussi prégnant.»
Et à ce sujet, une personne dans son entourage semble déjà avoir flairé la bonne affaire médiatico-financière: sa «porte-parole», Fia Johansson, dont les agissements, depuis qu'elle a elle-même contacté Julia, ressemblent à s'y méprendre au travail d'un agent d'artiste.