Cette semaine, la gauche française a implosé. Dans un fracas qui couvrirait presque les coups de marteau sur le bois des cercueils au Proche-Orient. Parce que les grandes gueules de la France Insoumise refusent de nommer la terreur antisémite qui s'est abattu sur les Israéliens, les liens, depuis toujours trop fins pour être crédibles, ont fini par lâcher. Après les communistes, ce sont les socialistes, mardi, qui ont pris leurs distances avec des mélenchonistes embourbés dans une «stratégie de conflictualisation permanente». Ce sont les mots d'Olivier Faure, premier secrétaire du parti.
La France n'est pas toute seule à tremper ses actes démocratiques dans un grand bac de lave. Aux Etats-Unis, la Chambre des représentants s'est transformée en préau pour gamins turbulents, depuis la «décapitation» politique de son speaker, Kevin McCarthy.
La faute à cette grosse dizaine d'extrémistes du parti républicain, excitée à l'idée de servir de larges tranches de conflits, à toutes les sauces et dès le petit-déjeuner. Même depuis la Chine, foi de média d'Etat, les joutes américaines se résument aujourd'hui à de «micro-croisades».
Très à gauche comme très à droite, la composition des équipes et le profil des soldats facilitent grandement la comparaison. Avec, pour commencer, Jean-Luc Mélenchon et Donald Trump dans leur rôle de gourous omnipotents. Tout comme le milliardaire de Mar-A-Lago, Mélenchon est un leader autoritaire et populiste, recroquevillé dans un rôle de martyr harcelé par la «caste du pouvoir». Un homme qui déteste les médias, fricote avec les théories fumeuses, sème le doute au sujet du Kremlin, digère péniblement l'idée d'avoir pu être battu à la loyale en fin de course présidentielle et se nourrit de ses propres gueulantes.
Leur paranoïa colérique déambule d'ailleurs sur le même fil réthorique. Pour le patron des Insoumis, les journalistes sont des «abrutis» et des «menteurs», la justice et la police des «pieds nickelés» et les enquêtes qui lui sont tombées sur le coin de la gueule des «offensives politiques menées par la Macronie». Troublant de similitudes, non?
Si leur ADN et leur histoire n'ont évidemment rien en commun, leurs héritiers préférés sont manifestement fabriqués dans le même moule et leur formations politiques respectives en font méchamment les frais. Quand la députée Mathilde Panot décide d'agiter une fiole remplie de punaises de lit à l'Assemblée nationale, Marjorie Taylor Greene fait de même avec des clichés pornographiques de Hunter Biden. Deux femmes très à l'aise dans l'exercice de la performance continuelle, la confrontation à plein volume et la bordélisation de la démocratie.
Petite différence néanmoins: si l'Américaine considère que «le chaos est un projet politique», la Française accuse le gouvernement de l'avoir semé. De la réforme des retraites aux motions de censure, de l'aide américaine à l'Ukraine à la destitution de Joe Biden, c'est le grand spectacle de la révolte qui prime depuis de longs mois.
On peut aussi trouver des points communs à Matt Gaetz et Louis Boyard, les deux garnements des hémicycles. Petite quarantaine pour l'élu de Floride, petite vingtaine pour celui du Val-de-Marne, ces agitateurs passent une grande partie de leur temps à poser des bombes, collectionner les coups d'éclat et obstruer les réseaux sociaux. Rassembler des likes en renversant l’ordre établi, certains diraient que c'est de leur âge. Objectif affiché: apparaître quotidiennement sur tous les radars et imposer un rapport de force médiatique et systématique avec le pouvoir. «J'ai un avis sur tout!», clamait Boyard dans Le Monde, en avril.
Des deux côtés, ce brouhaha et cette fureur se résument bien souvent à des incidents narcissiques de courte durée, comme s'ils maîtrisaient mal la sulfateuse politique qu'ils ont entre les doigts. Qu'importe les aspirations, tant que que le public est au rendez-vous. Louis Boyard hurle chez Cyril Hanouna? Matt Gaetz tire à balles réelles (et la couverture à lui) chez Tucker Carlson.
Quand le Financial Times demandait récemment à l'ultra-conservateur de Floride s'il n'avait pas «peur de perdre de son pouvoir politique à force de courir après son statut de star», il répondra fièrement: «Quelle est la différence?».
Trop occupés à saloper l'ordre établi, la France insoumise et le Grand Old Party viennent de vivre une séquence politique capitale pour leur survie. Si l'extrême gauche française a trébuché sur son impossibilité à qualifier de «terroriste» la barbarie du Hamas, les conservateurs américains pourraient ne pas se relever de l'élection chaotique du speaker de la Chambre. Des deux côtés de l'Atlantique, les électeurs fatiguent, s'agacent et confessent publiquement ses craintes.
Dans un sondage Yahoo News/YouGov dévoilé mercredi matin, 33% des Américains ne savent plus vraiment quel candidat républicain à la présidence de la Chambre pourrait véritablement faire l'affaire. Et plus d'un tiers des électeurs blâment le GOP pour avoir «favorisé l'impasse actuelle à Washington».
Si ce ras le bol est encore plus prégnant dans l'Hexagone, c'est une certaine peur de l'extrême gauche qui pointe le bon de ses courbes. La semaine dernière, l'enquête «Fractures françaises» révélait que, désormais, 57% des Français considèrent que «LFI est un parti dangereux pour la démocratie». Le Rassemblement national, «bien que toujours perçu comme extrême droite» et qui a largement profité du chaos pour poncer son image, n'est plus qu'à 52%.
Des deux côtés de la grande gouille, les électeurs ne semblent donc pas tout à fait friand du chaos, surtout lorsqu'il se regarde férocement le nombril. Une grande partie du mal, et donc de son remède, se cachent sans doute au sommet. Mélenchon et Trump, quasiment sanctifiés, galvanisent toujours une foule fidèle. Or, ils sont tous deux en fin de course, proche de la chute, prisonniers d'une indignation performative et peu enclins à honorer l'exercice démocratique.
Se désolidariser de l'icône permettrait d'envisager un avenir proche un brin moins turbulent, mais leurs successeurs ne sont pas moins motivés et hargneux. C'est en tout cas le mouvement opéré cette semaine par une certaine gauche, le Parti socialiste en tête, en défaisant la paix à la France insoumise sur fond de conflit israélo-palestinien. En revanche, la formule n'est pas magique et ne fonctionne que si les Comme l'écrivait le Financial Times le 6 octobre dernier, «ceux qui affirment que seul l’emprisonnement de Trump pourrait ramener le parti républicain à la raison et à l'ordre, pourraient se rendre coupable d’un vœu pieux».