«Connaissance approfondie, reconnue, qui confère le droit de juger ou de décider en certaines matières.» Voilà la définition de la compétence, selon le Larousse. Et elle colle plutôt bien à l'actuel président des Etats-Unis. Au point que depuis le débat qui l'a opposé à un Donald Trump en meilleure forme, Joe Biden n'arrête pas de les brandir, ses compétences.
Comme si elles étaient au cœur de l'appel quasi unanime de son clan de le voir abandonner la course à la Maison-Blanche. Comme si ses chuchotements et son teint blafard sur le plateau de CNN remettaient en cause son savoir et son expérience. Rappelez-vous, au lendemain de son échec, le démocrate bombait le torse et les cordes vocales en Caroline du Nord, dans l'espoir un peu vain de faire oublier ce qui pourtant restera un débat historique.
Savoir et pouvoir. Deux verbes, deux notions, deux qualités indéniables, que l’on dirige une supérette ou la plus grande puissance mondiale. Hélas, en se concentrant sur ses uniques compétences, Joe Biden ne parviendra jamais à rassurer sur ses capacités.
Du New York Times aux pontes démocrates, ils sont désormais nombreux à maintenir les vannes grandes ouvertes pour exiger son abandon. Et c'est bien sur ses capacités, mises à mal en direct le 27 juin dernier, que ses alliés d'antan prennent appui pour le supplier de lâcher la rampe. C'est le candidat vieillissant, affaibli, hagard, que le parti démocrate souhaite poubelliser, à quatre mois de l'élection présidentielle. Pas le président compétent, au bénéfice d'un bilan dont il n'aura jamais à rougir totalement.
Vendredi, face à George Stephanopoulos, le candidat au teint subitement hâlé et à la mine étrangement rafraîchie a trempé sa chemise (sans cravate) pour que ses compétences et sa vivacité inondent les écrans. C'était sans compter l'élégante ténacité du célèbre journaliste d'ABC, qui tenait manifestement à jouer le psy du papy du pays.
Full Biden-Stephanopoulos Interview.
— Caroline (@carolinecwilder) July 6, 2024
All 22 minutes and 11 seconds of it. pic.twitter.com/sXyqyWRy8N
Vingt-deux petites minutes d'interview, la première depuis son naufrage en public, qui a abrité les mêmes signaux d'alerte que le 27 juin. La voix rauque et l'esprit parfois en balade, Joe Biden a tenté plusieurs fois de recentrer la discussion sur ce qu'il «sait faire». Sans grand succès. Alors, comment se sentira-t-il en janvier, si Donald Trump le terrasse le 5 novembre prochain?
L'atmosphère actuelle tend à prouver qu'il se trompe. Ce n'est pas (ou plus) de cela qu'il s'agit. Mais bien de son âge, de sa forme physique et mentale, de ses chutes, ses blancs, ses bourdes, bref... de ses capacités. Si le candidat démocrate s'obstine à ce point à ne pas regarder sa réalité en face, c'est peut-être aussi parce que ses plus chers alliés le fusillent aujourd'hui avec le verbiage rabâché par les trumpistes depuis plus d'une année: «Joe Biden est sénile». Une violente humiliation en Dolby Surround, que ses sacro-saintes compétences n'aideront pas à éteindre.
On pourrait en vouloir au parti démocrate de ne pas avoir agi plus tôt. On pourrait en vouloir aux médias américains, New York Times en tête, de ne pas l'avoir abandonné plus tôt. On pourrait en vouloir à Joe Biden de ne pas avoir offert les coudées franches à Kamala Harris en 2020, lorsqu'il promettait pourtant que son mandat ne serait qu'un passage de témoin.
Oui, on pourrait. Mais c'est trop tard. Dans seize petites semaines, la fierté mal placée d'un candidat lâché de toute part pourrait bien bouleverser la face du monde. N'importe quel DRH le dirait sans bégayer: ignorer ses capacités, c'est condamner ses compétences à l'oubli. De quoi ternir une carrière pour l'éternité.
Lundi, pourtant, le président a persisté, droit dans ses pantoufles, dans une lettre adressée aux démocrates du Congrès américain. Un courrier très sec, qui accuse ceux qui «doutent de ses capacités font le jeu de Donald Trump».
This morning, I sent a letter to my fellow Democrats on Capitol Hill. In it, I shared my thoughts about this moment in our campaign.
— Joe Biden (@JoeBiden) July 8, 2024
It’s time to come together, move forward as a unified party, and defeat Donald Trump. pic.twitter.com/ABtAaJrr0n
On est donc très loin d'une prise de conscience, alors qu'une alternative à l'abandon existe bel et bien, comme l'avance The Atlantic, s'il voulait préserver sa dignité: libérer les délégués et se présenter lors d’une convention ouverte. En d'autres termes, rebattre les cartes et redonner le pouvoir à l'électorat démocrate.
Car sans un sursaut de réalisme, Joe Biden restera ce candidat aussi buté qu'un grand skieur, dont l'amputation des deux jambes ne serait pas en mesure de remettre en cause sa victoire au prochain championnat du monde.