Ça se chambre comme entre rappeurs. Dans une vidéo postée sur X, deux soldats supposément franco-israéliens adressent un message façon carte postale du front au député France insoumise Thomas Portes. «Thomas Portes, le LFI, merci pour votre soutien», dit l’un. «Joyeux Noël, khouya», ajoute l’autre. Pas de doute, c'est un doigt d’honneur – certains y voient une menace. On le sait, la gauche radicale LFI ne soutient en rien Israël dans sa guerre contre le Hamas. Quant au mot «khouya», «mon frère» en arabe, il moque le parti-pris favorable aux Palestiniens de cette même gauche emmenée par Jean-Luc Mélenchon.
Un petit message pour @Portes_Thomas de la part des nôtres. pic.twitter.com/LQgRDhsYPa
— Collectif des vigilants (@Collectifvigi) December 17, 2023
Pourquoi ces deux combattants armés jusqu’aux dents interpellent-ils le député Thomas Portes? Parce que, le 16 décembre, ce dernier a très officiellement demandé au garde des sceaux Eric Dupont-Moretti de traduire devant la «justice française» les Franco-Israéliens «coupables de crimes de guerre» contre les Palestiniens.
On apprend par la même occasion que le nombre de Franco-Israéliens mobilisés sur le front s’élève à 4185 hommes, selon une information de la radio Europe 1. Thomas Portes indique qu’il s’agit du «contingent» de binationaux le plus fourni après celui des Israélo-Américains. Cela tient au fait que la France est le deuxième pays derrière les Etats-Unis comptant le plus de juifs en dehors d’Israël.
Plus de 4000 français engagés dans l'armée israélienne qui commet des crimes de guerre à Gaza !
— Thomas Portes (@Portes_Thomas) December 16, 2023
Une enquête réalisée par Europe 1 indique que 4.185 soldats de nationalité française sont actuellement mobilisés au sein de l’armée israélienne sur le front à Gaza. Il s’agit du… pic.twitter.com/zs5rMNO4kG
Ce n’est plus le conflit israélo-palestinien qui s’invite en France, ce sont de «vieux dossiers» judéo-franco-musulmans datant de l’époque coloniale, puis de la décolonisation, qui s’exportent au Proche-Orient. Une guerre par procuration s’y livre en quelque sorte, avec parfois des arguments identitaires empruntant au «choc des civilisations». Les Israéliens défendraient la civilisation occidentale contre la civilisation de l’islam.
L’engagement de milliers de Franco-Israéliens dans Tsahal, c’est un peu l’histoire de l’éléphant dans la pièce qu’on fait mine d’ignorer. Cette participation «française» aux combats côté israélien génère une frustration chez certains musulmans en France, qui voient des Français de confession juive tuer «en toute impunité» d’autres musulmans, à Gaza. En l’occurrence, ces Français sont israéliens lorsqu’ils portent l’uniforme d’Israël. Leurs faits d’armes n’impliquent pas juridiquement la France. Mais il arrive que ce distinguo s'efface devant l’impression générale.
Cette impression, celle d’un «deux poids, deux mesures», présente chez les descendants de l’immigration maghrébine, explique sans doute en partie les résultats d’un sondage Ifop publié lundi, réalisé pour le média La Tribune. Où il apparaît que 45% des Français musulmans, soit quatre fois plus que dans l’ensemble de la population française, considèrent les attaques du Hamas du 7 octobre comme des «actions de résistance contre la colonisation». A noter que la majorité d’entre eux, soit 55%, juge négativement ces mêmes attaques.
Autre enseignement: 19% des Français musulmans, contre 3% en moyenne du côté des Français, expriment de la sympathie pour le mouvement islamiste Hamas – ce taux grimpe à 24% auprès des Français musulmans âgés entre 15-24 ans.
Pour 58% des Français musulmans (20% chez l’ensemble des Français), l’impression, on y revient, est que le gouvernement français est plutôt du côté d’Israël dans le conflit en cours à Gaza. Et deux tiers d’entre eux (67%) estiment que le traitement médiatique du conflit est actuellement plutôt favorable à Israël, contre à peine 22% qui estiment qu’il est objectif et 10% pro-palestinien.
Ces résultats très contrastés corroborent en quelques sorte ceux d’une précédente étude de l’Ifop, sortie le 9 décembre. Elle montrait que 78% des musulmans français jugent la laïcité discriminatoire envers les musulmans, 72% d’entre eux désapprouvant l’interdiction de l’abaya et du qamis à l’école. L’ensemble de ces données rend compte d’une affirmation ou d’un repli communautaire de type anglo-saxon en opposition au modèle universaliste français. D’autres y verront la preuve d’un «séparatisme» à l’œuvre – une loi française votée après l’assassinat de Samuel Paty combat ce phénomène identifié comme tel.
Pour autant, et c’est bien la seule chose que les Français musulmans (76%) partagent avec le reste des Français (82%), note l'Ifop, les deux groupes craignent une importation du conflit israélo-palestinien en France.
Pour cette journaliste franco-algérienne citée ci-après anonymement, les résultats du dernier sondage Ifop, celui du 19 décembre, «doivent être appréhendés avec précaution».
Passions exacerbées, loi immigration désormais votée à l'Assemblée nationale: cette journaliste se dit inquiète pour l'avenir des ses enfants en France.