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«Le scénario Bosnie»: la Russie sera-t-elle récompensée?

Austrian NATO peacekeeping EUFOR troops stop as they patrol in downtown Sarajevo, Bosnia, Monday March 7, 2022. For some European countries watching Russia's bloody invasion of Ukraine, there are ...
Des troupes autrichiennes de l'Eufor patrouillaient dans la capitale bosniaque Sarajevo en mars 2022.image: keystone
Analyse

«Le scénario Bosnie»: la Russie sera-t-elle récompensée de son invasion?

La guerre en Ukraine pourrait se terminer de la même manière que la guerre de Bosnie dans les années 1990, prédit un expert. On peut faire des parallèles, mais il y a, toutefois, quelques différences.
18.06.2022, 16:29
Daniel Fuchs / ch media
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Après l'attaque de la Russie contre l'Ukraine fin février, de grandes manifestations pacifistes ont eu lieu à Sarajevo. En effet, de nombreux Bosniaques craignent le retour de la violence. On pouvait lire sur des pancartes: «Sarajevo est solidaire avec Kiev» ou «Tirer les leçons de la guerre en Bosnie».

Mais quelle est la raison de l'inquiétude en Bosnie? Elle est à trouver du côté des nationalistes serbes bosniaques qui sont rassemblés autour du politicien Milorad Dodik et qui pourraient se sentir encouragés à se séparer complètement de la Bosnie-Herzégovine.

Les rêves des nationalistes pour un grand empire serbe ne concernent bien sûr pas seulement la République serbe de Bosnie, majoritairement peuplée de Serbes, mais aussi le Kosovo, toujours considéré par la Serbie comme un territoire national sécessionniste.

Accords de Dayton pour l'Ukraine?

Pour l'observateur et connaisseur de la Russie Ulrich Schmid, les parallèles entre l'Ukraine et la Bosnie sautent aux yeux. Les situations dans le Donbass et en République serbe de Bosnie sont bien comparables, comme l'explique à CH Media le professeur de culture et de société russes à l'université de Saint-Gall.

Ulrich Schmid établit des parallèles notamment concernant un scénario de paix. Qui est, selon lui, le plus réaliste.

«D'ici la fin de l'année, la Russie aura assuré son contrôle sur les deux Républiques populaires du Donbass: Donetsk et Lougansk»

Cela, ajouté au fait que les deux belligérants montrent des signes d'usure, pourrait conduire «à une sorte de paix de Dayton en Ukraine».

Mais c'est quoi les accords de Dayton?
Les accords de Dayton ont mis fin à la guerre de Bosnie en 1995. Ils ont défini une structure étatique respectant les frontières internationalement reconnues d'avant la guerre ainsi qu'une structure très décentralisée. Cette dernière est constituée de deux entités semi-autonomes, la République serbe, où les Serbes sont majoritaires, et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, peuplée principalement de Bosniaques et de Croates.

Ulrich Schmid appelle cela «le scénario Bosnie». Et il qualifie cette perspective d’incertaine. La raison: la Bosnie-Herzégovine n'est toujours pas un Etat fonctionnel. L'accord de Dayton a certes mis fin à la guerre, mais il n'a pas mis fin au conflit. Selon Schmid, le «préjudice moral» résultant de l'accord de Dayton est encore plus lourd de conséquences.

epa10000232 Russian President Vladimir Putin chairs a meeting on economic issues via a video conference at Novo-Ogaryovo residence outside Moscow, Russia, 07 June 2022. EPA/MIKHAIL METZEL / KREMLIN PO ...
Le président russe Poutine se contenterait-il d'une paix sur le modèle de la Bosnie?image: keystone

Qu'est-ce que cela signifie? Et bien que le traité récompensait l'agresseur, la Serbie. «La carte actuelle de la République serbe de Bosnie reflète les avancées militaires des forces armées et des milices serbes pendant la guerre de Bosnie de 1992 à 1995.» Il ne faut pas oublier qu’après l'effondrement de la Yougoslavie socialiste, la Bosnie-Herzégovine était reconnue internationalement comme un Etat souverain.

Et en Ukraine? Il est bien possible qu'un accord de paix entre Moscou et Kiev récompense un jour l'agresseur russe. Certaines voix diplomatiques, comme celle de l'ancien secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger, se sont exprimées à ce sujet. Ces fins connaisseurs des relations internationales considèrent qu'il serait souhaitable que Kiev renonce, en faveur de la paix, aux Républiques populaires de Lougansk et de Donetsk qui, rappelons-le, étaient déjà sous le contrôle de Moscou avant l'invasion russe.

La Russie sera-t-elle satisfaite?

Les parallèles entre l'Ukraine et la Bosnie s'arrêtent là. Dans les Balkans, la situation politique est certes tendue, mais une sécession de la République serbe de Bosnie n'est guère réaliste. La Serbie n'a aucun intérêt à mettre en péril ses relations vitales avec l'Europe. Les politiciens serbes préfèrent jouer leur double jeu en profitant de l'Europe. Cela tout en bénéficiant de leur puissance protectrice traditionnelle, la Russie. Dernièrement, le chancelier allemand Olaf Scholz a tenté de faire pression sur le président serbe Aleksandar Vucic.

En Ukraine, en revanche, la situation ne se résume pas à de la provocation uniquement: une sécession est tout à fait possible. Un accord de paix sur le modèle de Dayton ne serait qu'une étape intermédiaire. En effet, l'Europe et l'Occident n'empêcheraient guère la Russie de fusionner avec les régions du Donbass, Lougansk et Donetsk.

Ulrich Schmid relève encore une différence: contrairement à la Serbie, qui ne peut pas se permettre de s'étendre actuellement, la faim de la Russie ne serait pas assouvie après l'incorporation de Donetsk et Louhansk. Schmid prédit une répétition de l'histoire. Les villes de Kherson et Zaporizhzhya deviendraient ce que Donetsk et Louhansk ont été ces dernières années: l'épine russe dans le pied d'une Ukraine officiellement pacifiée, mais toujours menacée dans ses frontières.

Il y a tout de même un avantage à une solution sur le modèle de la Bosnie. Même s'il n'est pas durable, ce modèle pourrait mettre fin à la guerre ou du moins atténuer l'intensité du conflit. Les Ukrainiens paient un lourd tribut, surtout dans les régions de Louhansk et de Donetsk. Mais à court et moyen terme, des vies seraient probablement sauvées.

Néanmoins, le prix d'un scénario bosniaque serait élevé pour l'Ukraine. Il ne conduirait certainement pas à la stabilité et l'agression russe serait en quelque sorte récompensée par de nouveaux territoires, qui seront donc reconnus de manière légale. Mais on peut se poser une dernière question: la Russie se contentera-t-elle de cette récompense ou ira-t-elle encore plus loin?

Traduit de l'allemand par Léon Dietrich

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Une partie d'un char russe endommagé dans le village de Mala Rohan, près de Kharkiv, en Ukraine, le 13 mai 2022.
source: sda / sergey kozlov
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