Ils sont livrés à eux-mêmes, personne ne viendra à leur secours. Même pas l'OTAN. C'est cette conviction qui a poussé l'Ukraine à investir massivement dans l'équipement et le personnel militaires au cours des dernières années. La perte de la Crimée et d'une partie de la région du Donbass en 2014 a été un traumatisme pour le pays, qui veut éviter que cela se reproduise.
La Russie, puissance nucléaire, voit d'un mauvais œil le réarmement de son voisin. Le président Vladimir Poutine a déclaré qu'il ne pouvait pas tolérer un voisin aussi hostile qu'armé jusqu'aux dents. Il s'agit avant tout d'une critique en direction des pays de l'OTAN, qui ont partiellement fourni des systèmes d'armes et des équipements militaires à l'Ukraine après 2014.
Dans ce contexte, le risque d'une invasion russe de l'Ukraine augmente depuis des mois. Poutine garde toutes les possibilités d'action ouvertes: près de 100 000 soldats, des milliers de chars, des avions de combat air-sol et d'autres équipements militaires ont été amassés à la frontière. Il peut s'agir d'un geste de menace visant à augmenter la pression sur l'Occident pour des négociations. De nombreux éléments le laissent penser.
Mais une invasion reste également envisageable, même si elle pourrait se faire sous un faux prétexte. Officiellement, la Russie ne se considère pas comme un belligérant dans le conflit ukrainien, mais comme une puissance protectrice des séparatistes.
La raison: pour une grande partie de la population russe, l'Ukraine est considérée comme un «peuple frère». Une attaque serait donc difficile à légitimer pour Poutine sur le plan de la politique intérieure.
Les Etats-Unis accusent donc le Kremlin de planifier une opération sous faux drapeau afin que la Russie puisse intervenir en tant que sauveur des séparatistes pro-russes dans leur lutte contre les groupes qu'ils considèrent comme «fascistes» en Ukraine.
Et tout cela parce que la Russie estime que sa sécurité est menacée par une Ukraine réarmée et tournée vers l'Ouest? Une question s'impose: l'Ukraine est-elle vraiment si forte qu'elle menace les intérêts sécuritaires de la Russie?
La qualité de l'armée ukrainienne s'est en tout cas massivement améliorée ces dernières années. En 2014, le pays a perdu 70% de sa marine suite à l'annexion de la Crimée par la Russie. Une partie de son industrie d'armement se trouvait dans la région du Donbass, désormais contrôlée par les séparatistes. A l'époque, l'Ukraine comptait à peine 6000 soldats opérationnels, qui disposaient d'une technologie d'armement obsolète datant de l'époque soviétique.
C'est différent maintenant:
Tout cela peut sembler être une grande modernisation par rapport à 2014. Pourtant, de nombreux systèmes d'armes ukrainiens sont encore obsolètes et non opérationnels. L'armée de l'air ne dispose que de peu d'avions de combat datant des années 1970 ou 1980. La marine est quasiment inexistante et de nombreux généraux ukrainiens ont été formés à l'école militaire soviétique, ce qui veut dire que leur formation tactique est dépassée.
De l'autre côté, il y a la Russie, un adversaire surpuissant. Stratégiquement, Moscou aurait l'avantage en cas d'attaque: les forces russes pourraient attaquer au nord ou passer par la Crimée au sud pour contourner la frontière relativement bien sécurisée dans la région du Donbass. L'infrastructure délabrée de l'Ukraine ferait que les forces armées ukrainiennes mettraient longtemps à déplacer leurs troupes vers la frontière.
Les données militaires sont également éloquentes:
Malgré tout, une guerre coûterait cher à Poutine et une attaque serait l'opération russe la plus dangereuse de ces dernières années. Tant que l'armée ukrainienne pourrait impliquer son grand voisin dans des guerres de tranchées, une avancée ne serait possible que lentement et avec des pertes.
Le Kremlin perçoit surtout les drones de combat comme une menace et a réagi avec colère lorsque la Turquie, membre de l'OTAN, a livré des Bayraktar TB-2 à l'Ukraine. Développés par Ankara, ces drones sont devenus un succès commercial pour le président Erdogan. Le Kremlin a déjà ressenti leur efficacité en Libye, dans la région syrienne d'Idlib et dans le Haut-Karabakh, des guerres par procuration dans lesquelles la Turquie et la Russie soutiennent des camps différents.
C'est pourquoi le respect de Moscou pour cette technologie n'est pas dû au hasard. En réaction, les soldats russes ont été davantage formés à la défense contre les drones.
Même en dehors des considérations de stratégie militaire, il y a actuellement plus de raisons de s'opposer à une guerre, notamment politiques: tout d'abord, une invasion isolerait encore plus le chef du Kremlin sur la scène internationale, avec pour conséquence de nouvelles sanctions de l'Occident contre l'économie russe en difficulté. De plus, Poutine ne pourrait plus utiliser à l'avenir un moyen de pression important: les menaces militaires contre l'Ukraine. Son pouvoir de négociation se réduirait considérablement.
En outre, la Russie devrait pouvoir conserver les territoires conquis en Ukraine, et cela devient plus difficile à mesure qu'elle avance vers l'ouest. Contrairement au Donbass, la part de la population d'origine russe est plus faible dans le reste du pays. Le Kremlin devrait craindre une guerre de guérilla et des protestations. Il s'agit de scénarios sanglants qui pourraient nuire massivement à Poutine sur le plan politique dans son propre pays, surtout si son armée agissait avec dureté contre les civils.
Enfin, Poutine pourrait nuire à ses propres objectifs stratégiques. Il veut revenir à la table des négociations avec les Etats-Unis et empêcher le pays voisin de s'armer. S'il abuse du sabre, les conséquences risquent d'être négatives. L'OTAN ne livre certes pas d'armes offensives à l'Ukraine, mais en Occident, la pression sur les décideurs politiques pour qu'ils revoient leur position s'accroît.
Mais tant que tant de soldats et de chars se font face à une frontière, la situation reste dangereuse. Malgré le prix élevé payé par son pays, Poutine pourrait finir par se retrouver politiquement dans une situation où il prendrait des décisions fatales. Pour l'Ukraine, mieux équipée, comme pour la Russie, qui reste supérieure.