«Parfois, les mous peuvent atteindre la perfection, la subtilité, l'élégance, la surprise.» Cette phrase est de François Hollande. Ou «Hollande le mou», comme adorait parfois le surnommer Manuel Valls. L'ex-président «normal» faisait à l'époque référence au Tchécoslovaque Antonin Panenka qui a marqué un pénalty (et l'histoire) d'une simple pichenette en 1976. «Et, ça, c'était un ballon mou.»
Rappelons-le: lui, président de la République, a été réduit à un vulgaire «Flanby» tout au long de son quinquennat. Une image d'emplâtre qui pouvait attirer la pluie au moindre pied dehors et les rires quand il fallait le poser sur un tapis protocolaire. Une mollesse historiquement péjorative, synonyme d'inefficacité, de charisme zéro, de ronflement politique, de fragilité managériale, voire de faiblesse diplomatique.
Le 29 avril 2016, devant un parterre d'écrivains, François Hollande avait donc chaussé ses crampons rhétoriques pour brosser l'éloge de la mollesse et tenter, ainsi, de contrer les incessantes railleries à son encontre. Nicolas Sarkozy, à la même période, se disait même prêt à lui offrir sa voix, comme s'il devait se résigner à choisir entre le diable et la brioche.👇
Aujourd’hui, tout fout le camp. La campagne présidentielle française n'est pas une pichenette à la Panenka, mais un uppercut à la Booba. Et, surprise, la mollesse ne semble plus être considérée comme un banal défaut, mais bien comme une qualité, une arme de persuasion massive ou simplement un danger.
C'est surtout sa récurrence qui peut surprendre, dans un débat politique et une fin de campagne où la violence physique et les attaques personnelles n'ont véritablement épargné aucun candidat. «Imposer le mot “mou” dans le débat, en 2022, c’est malin. L'avantage de ce mot, c'est son côté inédit. Et même si les stratégies et les objectifs ne sont pas les mêmes pour tous les candidats, "molle" permet avant tout de se distinguer de ses adversaires», analyse René Knüsel, politologue à l'Université de Lausanne. Emmanuel Macron, le président dont l'entourage vante souvent la «pensée complexe», s'est attaqué cette fois à la «pensée molle».
Au pied d'un premier tour bardé d'incertitudes, la gauche et la droite traditionnelles sont toujours dans le dur et la réplique aux incantations radicales se déniche manifestement dans une mollesse très trendy. Six ans après l'anecdote footballistique de François Hollande, c'est Marine Le Pen ou Jean Lassalle qui la ravivent pour nourrir, chacun à sa manière, la présidentielle. Si le locataire de l'Elysée admettait, derrière sa formule, avoir échoué à faire débander la hype de l'extrême droite, en 2022, cet extrême a surtout changé de poulain. La «dangereuse» Marine fait désormais tout pour jouer à tata Le Pen et c'est Eric Zemmour qui incarne l'effrayant Gargamel de la République.
Montée de l'extrême droite en France : "Je n'ai pas réussi à l'endiguer", reconnaît Emmanuel Macronhttps://t.co/rKi9Bfolzz pic.twitter.com/sq1ab60EW5
— franceinfo (@franceinfo) April 4, 2022
«Marine Le Pen a une stratégie qui a l’air de fonctionner. Monsieur Zemmour l’a rendue "plus molle" si vous me permettez l’expression.» Non seulement le plateau de C à vous a permis l'expression à Gérard Darmanin, le 26 mars dernier, mais le ministre de l’Intérieur avait été autrement plus direct il y a un an face à la fille de Jean-Marie:
On a demandé à René Knüsel si, dans cette campagne, "mou" ne serait pas devenu, soudain, synonyme de "fort". Le politologue n'ira pas jusque là: «Non, pas fort, mais crédible. A force de dédiabolisation, Marine Le Pen est devenue fréquentable et cette stratégie est en train de payer.»
Jean Lassalle, qui se dévoile d'ailleurs autrement moins aimable et inoffensif qu'il y a cinq ans, s'est risqué à brandir une «dictature molle» pour décrire le pays avec Emmanuel Macron au pouvoir.
L'idée d'une «pas tout à fait dictature» ne date pas de Jean Lassalle, ni de la campagne présidentielle actuelle. La France Insoumise, en 2017 déjà, jonglait avec sa propre version pour décrire un pays qui aurait sombré dans une sorte de régime autoritaire «modéré». «En dictature, il y a des morts. La dictamolle est bien plus efficace. Sa formule générale d’action est "cause toujours tu m’intéresses."»
De Jean-Luc Mélenchon à son confrère Alexis Corbière, l'extrême gauche n’en avait donc que pour cette étrange "dictamolle". Une locution entendue pour la première fois dans l'Espagne des années 1930. Slate rappelait aussi à l'époque que pour le député du Nord Ugo Bernalicis, le «projet de loi pérennisant certaines mesures de l'état d'urgence installait la France dans une "démocrature"»
De son côté, le politologue René Knüsel nous invite à monter dans une DeLorean pour tenter d'expliquer ce retour en grâce de la mollesse. «Dans les années 40-50, nous avions compris le danger que pouvaient représenter des extrêmes. En réaction, à l'époque, tout le monde a voulu revenir au centre de l'échiquier politique. Aujourd'hui, il y a la guerre de Poutine, la radicalité d'Eric Zemmour et une certaine violence généralisée qui peut effrayer jusqu'aux candidats les plus "modérés".»
C'est dimanche soir, à 20h02, que l'on saura si, véritablement, la stratégie de durcir le ton par le «mou» aura aidé Emmanuel Macron à ceinturer l'extrême droite ou Marine Le Pen à parader au second tour. Mais à écouter certains électeurs français cette semaine, la fadaise semble plus que jamais se mettre au service de... la droite dure.👇
#Présidentielle2022 🗳 « Je trouvais la fille trop molle, mais c’est finalement devenu une qualité », reconnaît Jean-Louis Gentou, 75 ans dont 30 encarté au FN puis RN. ➡️ @corentin_les au dernier meeting de Marine Le Pen à Perpignan à lire dans @LaCroix.https://t.co/9mk7Xm4RYJ
— Antoine Oberdorff (@A_Oberdorff) April 8, 2022