«Ils étaient si jeunes»: ce couple croyait avoir échappé à la guerre
Mykyta et Sofia Lamekhov s'étaient mis à l'abri, loin des combats de l'est de l'Ukraine, et rêvaient d'écrire un nouveau chapitre. Réfugiés à Kiev, la guerre les a finalement rattrapés, trois ans après. Ils sont morts avec leur fils dans une frappe aérienne.
Lui, 23 ans, et elle, 22, avaient quitté Sloviansk, une ville régulièrement pilonnée par l'armée russe, à une vingtaine de kilomètres du front. Ils s'étaient installés dans la capitale ukrainienne où ils vivaient avec leur garçon de deux ans, Lev, et attendaient la naissance de leur deuxième enfant.
Au petit matin du 31 juillet, 309 drones et huit missiles russes ont survolé l'Ukraine, dont l'un a touché leur immeuble. Les trois membres de la famille ont été tués. Au total, au moins 32 personnes ont péri dans l'attaque sur Kiev cette nuit-là. Celle-ci a été l'une des plus meurtrières dans la capitale depuis le déclenchement de l'invasion russe en février 2022, rappelant les dangers auxquels sont confrontés les Ukrainiens, même loin du front.
Funérailles
Dans le temple protestant de Sloviansk, Svyatoslav, 45 ans, préside les funérailles d'une voix calme face à une foule secouée par les sanglots. Mains jointes, tremblantes, la grand-mère de Sofia pleure en silence, les yeux rivés sur un écran à la surface duquel défilent les photos du jeune couple, tenant un Lev rayonnant.
Selon les autorités municipales, plus de 422 700 personnes originaires de toute l'Ukraine ont trouvé refuge dans cette cité protégée par des systèmes de défense antiaérienne de pointe. Sloviansk se trouve dans la région orientale de Donetsk, où ont lieu les combats les plus violents. C'est aussi là que le conflit de 2014 a pris racine.
Des séparatistes soutenus par le Kremlin se sont cette année-là emparés de Sloviansk, profitant de l'instabilité qui a suivi des manifestations en faveur de la démocratie dans toute l'Ukraine. Ils ont finalement dû s'en retirer, sous la pression de l'armée régulière ukrainienne.
Souvenirs d'adolescence
Malgré ces années de violences, Daria Pasitchnytchenko chérit les souvenirs de son adolescence aux côtés de Sofia, son amie d'enfance.
Elle se remémore son 17e anniversaire, auquel Sofia s'était vu interdire de participer par ses parents, jugeant que les filles pouvaient parfois être «un peu fofolles» ensemble. «Nous les avons suppliés, les larmes aux yeux», raconte Daria, jusqu'à ce qu'ils cèdent. Elle lâche, seule dans l'église:
A Kiev, les deux femmes habitaient à deux pas l'une de l'autre, près du supermarché où Mykyta travaillait. Elles se donnaient des nouvelles lorsque les sirènes ou des explosions retentissaient.
«Tu es en vie?»
Ces derniers mois, les forces russes ont intensifié leurs attaques, lançant plus de drones sur l'Ukraine en juillet que pendant n'importe quel autre mois depuis le début de la guerre. Le matin même de l'attaque, Daria a écrit à Sofia: «Salut, tu es en vie?» «J'attends toujours sa réponse», conclut-elle.
La famille a pour sa part dû attendre toute une journée avant de recevoir la confirmation de la mort de Sofia, Mykyta et Lev. Pour la mère de la jeune femme, Natalya Gaponova, il n'y a rien de pire que d'enterrer son enfant. Un de ses seuls réconforts: savoir que sa fille n'était pas seule.
La famille de Sofia affirme qu'ils ont été tués instantanément et dans leur sommeil, citant les résultats de l'autopsie. «C'était probablement la meilleure chose pour eux trois. Pourquoi? Parce qu'ils étaient ensemble», résume Natalya.
«Nous nous reverrons»
Sous un soleil de plomb, le chœur entonne des chants. La mère de Myktya, jusque-là parfaitement immobile, s'effondre sur les cercueils. Celui de Lev, tout petit, est le dernier à être inhumé, après ceux de ses deux parents.
«Il était important que nous les ramenions chez eux, à Sloviansk. Certaines personnes pensent qu'il est nécessaire de leur dire au revoir, même si nous croyons qu'ils sont au paradis», glisse Svyatoslav. «Nous nous reverrons.»