Mercredi soir, Robert F. Kennedy Jr. a dû composer avec deux vieux convives avinés, qui se sont écharpés sur le «canular climatique», dans une bataille de cris et de pets assourdissants.
Oui, littéralement.
D'un côté, Doug Dechert, chroniqueur mondain (dans une autre vie) et organisateur du dîner en l'honneur de la campagne présidentielle du neveu Kennedy. De l'autre, Anthony Haden-Guest, écrivain, reporter et critique d'art, âgé de 86 ans. Deux copains de toujours qui, le temps d'une éructation sur l'avenir de la planète, se sont balancé, insultes aiguisées et vents disgracieux.
Rien de bien méchant, direz-vous. Personne n'a été (physiquement) blessé, l'assemblée a pouffé dans sa manche et Robert Kennedy Jr. est toujours dans la course à la Maison-Blanche. Mais cette histoire, formidablement racontée par la journaliste de Page six, Mara Siegler, en dit long sur l'odeur peu innocente qui se dégage de ce Kennedy qu'on décrit comme un «cafard», au sein du camp démocrate.
Car deux jours après ce petit festival de pets attablé au restaurant Tony's Di Napoli, dans l'Upper East Side, le NY post dévoilait une histoire autrement plus nauséabonde, tirée... du même repas. RFK Jr., entre deux fourchettes de spaghetti, a notamment affirmé que le Covid-19 est «ethniquement ciblé» pour épargner «certaines races» et «certains peuples», en se basant sur une lecture totalement erronée d'une étude réalisée en 2020.
L'oiseau épinglé aura beau tenter de préciser ses pensées, dans la foulée et sur Twitter, le mal est fait. Un mal qu'il s'évertue à nourrir depuis un certain temps déjà, à grandes rasades de propos polémiques, antisémites, racistes, loufoques et paranoïaques. Malgré son profil a priori explosif, Robert Kennedy Jr. flirte déjà avec les 20% d'intentions de vote dans son propre camp. C'est gigantesque pour une candidature sauvage, que le QG des démocrates se refuse toujours à valider et à commenter.
C'est même pire que ça, puisque Fox news, séduite par ses déclarations passablement conservatrices, n'arrête pas de louer RFK Jr. dans un jeu d'amour-haine gorgé de joie malveillante. Pensez donc: un candidat historiquement de centre-gauche qui empoigne les thèses rabâchées par les moins ragoûtants des républicains, c'est suffisamment rare pour ne pas le laisser s'échapper.
Celui qui affirme que les antidépresseurs sont responsables des tueries de masse dans les écoles est également persuadé (comme beaucoup d'autres) que son oncle JFK a été assassiné par la CIA et que le soutien à l'Ukraine, c'est too much. Bien sûr, il a peu de chances d'asperger le Bureau ovale de ses délires en fin d'année 2024. Néanmoins, son succès médiatique tend à rappeler que les amateurs de théories du complot ne se donnent pas toujours rendez-vous à droite et que certains électeurs démocrates ne seraient pas contre un peu de sang neuf à Washington.
C'est évidemment sa longue et bruyante croisade contre les vaccins et la «politique de santé liberticide» qui lui a offert ses premiers émois électoraux. Récemment, pour illustrer le pouvoir que RFK Jr. a exercé sur une partie de la population américaine, le New York times a raconté l'histoire de Debra Sheldon, 48 ans, historiquement amoureuse du programme politique de Barack Obama... avant de donner naissance à son premier enfant.
Soudain angoissée par l'arrivée du Covid-19 et méfiante des effets secondaires des premiers sérums, cette jeune mère succombera aux mensonges patentés de Kennedy, persuadée qu'il a vraiment «aidé les mamans à s'informer et choisir ce qui était bon pour l'enfant».
Aujourd'hui, elle œuvre bénévolement à l'élection de cet étrange démocrate, ce «candidat franc» qui «a toujours voulu préserver l'âme de l'Amérique».
Il faut avouer qu'il a aussi quelques qualités à afficher. Une dégaine charmante et assurée, un bagout en titane, un réseau plutôt bien ficelé et un nom de famille censé insuffler une certaine dose de confiance. «Mais le mythe Kennedy, c'est une rose qui pousse sur un tas de fumier», disait joliment le romancier Marc Dugain, dans Le Monde, rappelant aussi que le patriarche Joseph Kennedy, antisémite sans gène, «reprochait aux producteurs juifs d'Hollywood d'énerver les Allemands», dans les années 40.
Robert, sous ses airs de doux play-boy de feuilleton des eighties, cache un impressionnant talent pour maîtriser les médias et l'opinion publique. C'est de famille, puisqu'on égratignait déjà JFK pour sa propension à soigner la forme avant le fond. Et qu'importe que le neveu ait été banni des réseaux sociaux durant la pandémie, pour «propos dangereux et mensongers»: les comploteurs irrécupérables, mais aussi les indécis, les extrémistes, les mécontents et les provocateurs de tout poil se sont très vite collés à ses basques.
Faisant du neveu de JFK le nouveau messie de la «vérité». La même vérité qui a poussé Elon Musk à réhabiliter récemment une cargaison d'extrémistes sur Twitter, au nom du free speech. C'est donc en toute logique que Kennedy Jr. s'était rué, il y a un mois, dans ses bureaux de San Francisco, pour une bonne heure d'interview doucereuse, en direct. Musk n'est d'ailleurs pas le seul roi de la tech à avoir récemment succombé aux charmes du puissant affabulateur.
Pour n'en citer qu'un, le créateur de Twitter, Jack Dorsey, a non seulement affiché son soutien indéfectible au «cafard» démocrate, mais affirme qu'il va remporter l'élection présidentielle. Beaucoup de boys de la Silicon Valley et de passionnés de cryptomonnaie sont derrière lui.
Certes, il possède lui-même quelque 250 000 dollars en bitcoins et s'est empressé d'en faire un thème de campagne, mais ce qui titille les jeunes milliardaires californiens, c'est avant tout son profil excentrique et à contre-courant. Comme si Robert faisait (un peu) partie de la bande.
Marié à l'actrice (il faut le dire vite) et joueuse de poker Cheryl Hines depuis dix ans, Robert F. Kennedy Jr., père de six enfants de trois femmes différentes, avait 9 ans quand son oncle a été assassiné. Cinq ans plus tard, son papa mourrait lui aussi d'une balle, alors qu'il s'apprêtait à remporter la primaire démocrate. Junior sera à son chevet, à l'hôpital, lorsqu'il poussera son dernier souffle.
Deux drames qui drainent, encore aujourd'hui, son lot de controverses, mais qui n'ont pas empêché ce célèbre neveu de traverser brillamment les couloirs et les examens de Harvard. Certes, cet avocat spécialisé dans les causes environnementales a été expulsé de deux internats et pincé ici et là avec du cannabis. Mais même son arrestation pour possession d'héroïne, en 1984, peu après avoir raté le barreau à Manhattan, ne le fera dévier totalement de sa route.
VIDEO:
— Jon Levine (@LevineJonathan) July 15, 2023
Robert F. Kennedy Jr. claims coronavirus was an "ethnically targeted" bioweapon designed to be more deadly for caucasians and blacks — and spare Jews and Chinese https://t.co/xfAdovs0sY pic.twitter.com/og4xHdKs7x
Une route sinueuse et un brin obsessionnelle, qui le fait désormais surfer sur des complots pluriels et la croyance d'un état profond, promulgués notamment par le mouvement QAnon. Son trouble des cordes vocales, qui offre à sa voix un timbre grave, étrange et unique, fait de Robert F. Kennedy Jr. le plus crédible des super-méchants de la campagne présidentielle américaine.